230. AU MARQUIS D'ARGENS.

(Breslau) 1er avril 1762.

Je ne suis encore ni mort ni enterré, mon cher marquis; ma fièvre m'a quitté, et je suis à présent tout comme un autre. Votre imagination vous représente l'avenir avec un pinceau flatteur; mais la mienne, moins vive et moins riante, ne me montre qu'embarras, peines, difficultés, dangers et malheurs qui nous menacent. J'ai, à la vérité, reçu des nouvelles de Solime,340-b mais l'affaire n'est pas finie; on me nourrit de belles espérances, et il me faut des effets. Cependant, vers le 10, je dois recevoir un courrier qui nous apportera Moïse et les prophètes. Tout va bien en Russie; je ne puis avoir de là-bas des nouvelles positives que le 16 ou le 18 de ce mois. Attendons donc, mon cher marquis; patience, car tout ceci est pour moi une école de patience où ma vivacité s'est éteinte. Je ne vaux plus rien qu'à végéter, l'huile de ma lampe s'est usée avant le lumignon; tout au plus serais-je bon à faire un chartreux. Voyez, après cela, à quelle sauce vous me mettrez, si la paix se fait jamais, à broyer les couleurs pour la marquise ou à copier des notes pour votre viole de gambe. Enfin tranquillisez-vous, mon cher; que ma santé ne vous inquiète plus, et mandez-moi les nouvelles que vous pourrez, surtout les littéraires. Adieu, mon cher; je vous embrasse.


340-b De Constantinople. Voyez t. XII. p. 204 et 205.