255. AU MARQUIS D'ARGENS.
Bögendorf, 21 juillet 1762.
Nos affaires, mon cher marquis, commençaient à prendre un train assez honnête, quand tout à coup je me vois dérangé par un de ces événements politiques que l'on ne peut prévoir ni empêcher; vous l'apprendrez de reste.375-a La paix que j'ai faite avec la Russie subsistera; mais l'alliance s'en va à vau-l'eau. Les troupes retournent toutes en Russie, et me voici réduit à moi-même. Cependant nous avons encore frotté deux détachements d'Autrichiens. Il faut voir si cela pourra nous mener à quelque chose de solide; j'en doute, et me voilà de nouveau dans une si<335>tuation gênante, difficile et délicate. Je suis la toupie de la fortune, elle se moque de moi. Nous avons pris aujourd'hui mille hommes et quatorze canons; cela ne décide de rien, et tout ce qui ne décide pas augmente mon embarras. Je crois bien que beaucoup de choses vont de travers à Berlin et autre part. Mais que voulez-vous que je vous dise? Le destin qui mène tout est plus fort que moi; je suis obligé de lui obéir. J'ai le chagrin dans le cœur, mon embarras est des plus grands; mais que faire? Prendre patience. Si je vous écris aujourd'hui une sotte lettre, prenez-vous-en à la politique; j'en suis si las, que, si une fois je pouvais trouver la fin de cette malheureuse guerre, je crois que je renoncerais au monde. Adieu, mon cher; je vous embrasse.
375-a L'empereur Pierre III, détrôné le 9 juillet 1762, mourut le 17. Voyez t. V, p. 214 et 215, et t. XVIII, p. 170.