<100>détrônait un jeune empereur encore au berceau : une révolution plaça la princesse Élisabeth sur ce trône. Un chirurgien,32 Français de naissance, un musicien, un gentilhomme de la chambre, et cent gardes Preobrashenskii corrompus par l'argent de la France, conduisent Élisabeth au palais impérial : ils surprennent les gardes et les désarment; le jeune empereur, son père, le prince Antoine de Brunswic, et sa mère, la princesse de Mecklenbourg, sont arrêtés. On assemble les troupes; elles prêtent le serment à Élisabeth, qu'elles reconnaissent pour leur impératrice; la famille malheureuse est enfermée dans les prisons de Riga; Ostermann, après avoir été traité avec ignominie, est exilé en Sibérie : tout cela n'est l'ouvrage que de quelques heures. La France, qui espérait profiter de cette révolution qu'elle avait amenée, vit bientôt après ses espérances s'évanouir.

Le dessein du cardinal de Fleury était de dégager la Suède du mauvais pas où il l'avait engagée. Il crut qu'un changement de règne en Russie rendrait le nouveau souverain facile à conclure une paix favorable à la Suède : dans cette vue, il avait envoyé un nommé d'Avennes avec des ordres verbaux au marquis de la Chétardie, ambassadeur à Pétersbourg, afin qu'il employât tous les moyens possibles à culbuter la Régente et le Généralissime. De telles entreprises, qui paraîtraient téméraires dans d'autres gouvernements, peuvent quelquefois s'exécuter en Russie : l'esprit de la nation est enclin aux révoltes; les Russes ont cela de commun avec les autres peuples, qu'ils sont mécontents du présent, et qu'ils espèrent tout de l'avenir. La Régente s'était rendue odieuse par les faiblesses qu'elle avait eues pour un étranger, le beau comte de Lynar, envoyé de Saxe; mais sa devancière, l'impératrice Anne, avait encore plus ouvertement distingué Biron, Courlandais et étranger comme Lynar : tant il est vrai que les mêmes choses cessent d'être les mêmes, quand elles se font en d'autres temps et par d'autres personnes. Si l'amour perdit la Régente, l'amour plus populaire dont la princesse Élisabeth fit sentir les effets aux gardes Preobrashenskii, l'éleva sur le trône. Ces deux princesses avaient le même goût pour la volupté. Celle de Mecklenbourg le couvrait du voile de la pruderie;


32 L'Estocq.