<20>faisait agir ces troupes au delà de ses frontières, il fallait les solder du trésor public. Ses ports contenaient vingt-quatre vaisseaux de ligne et trente-six frégates. Une longue paix avait rendu leurs soldats paysans; leurs meilleurs généraux étaient morts; les Buddenbrock et les Lewenhaupt n'étaient pas comparables aux Rehnsköld; mais un instinct belliqueux animait encore cette nation, et il ne lui manquait qu'un peu de discipline et de bons conducteurs : c'est le pays de Pharasmane qui ne produit que du fer et des soldats.a
De toutes les nations de l'Europe, la suédoise est la plus pauvre. L'or et l'argent, j'en excepte les subsides, y est aussi peu connu qu'à Sparte : de grandes plaques de cuivre timbrées leur tiennent lieu de monnaie; et, pour éviter l'incommodité du transport de ces masses lourdes, on y avait substitué le papier. L'exportation de ce royaume se borne au cuivre, au fer et au bois; mais, dans la balance du commerce, la Suède perd annuellement cinq cent mille écus, à cause que ses besoins surpassent ses exportations. Le climat rigoureux où elle est située, lui interdit toute industrie; sa laine grossière ne produit que des draps propres à vêtir le bas peuple. Les plus beaux édifices de Stockholm, et les meilleurs palais que les seigneurs aient dans leurs terres, datent de la guerre de trente ans.
Ce royaume était effectivement gouverné par un triumvirat, composé des comtes Thuro Bjelke, Ekeblad et Rosen. La Suède conservait encore, sous la forme du gouvernement républicain, la fierté de ses temps monarchiques : un Suédois se croyait supérieur au citoyen de toute autre nation. Le génie des Gustave-Adolphe et des Charles XII avait laissé des impressions si profondes dans l'esprit des peuples, que ni les vicissitudes de la fortune, ni le temps n'avaient pu les effacer. La Suède éprouva le sort de tout État monarchique qui se change en républicain, de devenir faible. L'amour de la gloire se changea en esprit d'in-
a Pharasmane, roi d'Ibérie, dans la tragédie de Crébillon intitulée Rhadamiste et Zénobie (acte II, scène 2), s'exprime ainsi :
Mon palais, tout ici n'a qu'un faste sauvage :
La nature, marâtre en ces affreux climats,
Ne produit, au lieu d'or, que du fer, des soldats.