<41>Remarquons surtout que par une suite de l'argent répandu en Allemagne, et qui était sûrement triplé des temps antérieurs, non seulement le luxe avait doublé, mais le nombre des troupes que les souverains entretenaient avait augmenté à proportion. A peine l'empereur Ferdinand Ier avait-il entretenu trente mille hommes : Charles VI en avait soudoyé dans la guerre de 1733 cent soixante-dix mille, sans fouler ses peuples. Louis XIII avait eu soixante mille soldats : Louis XIV en entretint deux cent vingt mille, et jusqu'à trois cent soixante mille durant la guerre de succession. Depuis cette époque, tous, jusqu'au plus petit prince d'Allemagne, avaient augmenté leur militaire. C'était par esprit d'imitation; car dans la guerre de 1683 Louis XIV leva le plus de troupes qu'il put, pour avoir une supériorité décidée sur ceux qu'il voulait combattre : il ne fit aucune réforme après la paix; ce qui força l'Empereur et les princes d'Allemagne à garder sur pied autant de soldats qu'ils en pouvaient payer. Cette coutume une fois établie se perpétua dans la suite. Les guerres en devinrent beaucoup plus coûteuses; la dépense des magasins fut immense pour entretenir ces cavaleries nombreuses, et les rassembler en quartiers de cantonnement avant l'ouverture de la campagne et la saison des fourrages.

L'infanterie, toujours entretenue, changea presque d'état, tant on travailla à la perfectionner. Avant la guerre de succession, la moitié des bataillons portait des piques, et l'autre, des mousquets, et ils combattaient armés sur six lignes de profondeur : on se servait de ces piques contre la cavalerie; les mousquets faisaient un feu faible, et rataient souvent à cause des mèches. Ces inconvénients firent changer d'armes : on quitta les piques et les mousquets, et on les remplaça par des fusils armés de baïonnettes; ce qui réunit ce que le feu et le fer ont de plus terrible. Comme on fit consister dans le feu la force des bataillons, on diminua peu à peu leur profondeur en les étendant. Le prince d'Anhalt, qu'on peut appeler un mécanicien militaire, introduisit les baguettes de fer; il mit les bataillons à trois hommes de hauteur; et le défunt roi, par ses soins infinis, introduisit la discipline et l'ordre merveilleux dans les troupes, et une précision jusque-là inconnue en Europe pour les mouvements et les