AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.
L'Histoire de mon temps fut pour le Roi l'objet d'une prédilection marquée : il est facile de s'en apercevoir au soin tout particulier qu'il y a apporté. La rédaction primitive de cet ouvrage, écrit de sa propre main et dans lequel il retrace les commencements de sa gloire comme roi et comme capitaine, est sa première composition historique. Le Roi l'acheva le 2 novembre 1746 : il l'intitula Seconde et troisième partie de l'Histoire de Brandebourg, s'étant proposé d'écrire les Mémoires de Brandebourg, qui en devaient former la première partie. Environ trente ans plus tard, il refondit entièrement son ouvrage, et lui donna le titre d'Histoire de mon temps. La première partie de ce nouveau travail, jusqu'à la paix de Berlin, formant cinquante-quatre pages in-4, fut complétement terminée le 1er juin 1775; et la seconde, de quarante-neuf pages in-4, le 20 juillet de la même année. Frédéric en déposa le manuscrit autographe, ainsi que celui de ses deux ouvrages historiques postérieurs, aux archives du Cabinet, sans aucune disposition spéciale.
La première édition de l'Histoire de mon temps, faite sur le dernier manuscrit de l'Auteur, parut dans l'année 1788. Mais les éditeurs ne se contentèrent pas des corrections orthographiques indispensables : de leur propre autorité ils changèrent le style, altérèrent les faits, et omirent à leur gré des passages entiers. Quant à la correction typographique et à l'orthographe des noms de lieux et de personnes, ils n'y songèrent en aucune façon.
<X>Nous avons donc, de toute nécessité, dû recourir au manuscrit original de l'année 1775, pour exécuter l'édition complète et parfaitement exacte que nous offrons au lecteur, nous bornant à la correction des fautes les plus élémentaires, selon les principes énoncés dans la Préface de l'Éditeur. Ce que nous avons ajouté en rectifications et remarques explicatives, est indiqué par la lettrine de renvoi; les notes du Roi se distinguent par des chiffres en continuité. Les titres entiers des chapitres, qui sont également de l'Auteur, étaient, dans l'édition de 1788, placés en guise de table des matières à la tète de l'ouvrage; nous les avons reportés à la fin de chaque volume.
Les deux manuscrits originaux de l'Histoire de mon temps, de l'année 1746 et de l'année 1775, sont conservés aux archives royales du Cabinet (Caisse 365, lettre C 1 et 2).
Nous n'avons, sur une rédaction antérieure à ces deux manuscrits, que les renseignements fournis par le Roi lui-même dans trois lettres adressées à Voltaire, datées, l'une du 18 novembre 1742, l'autre du 6 avril, et la dernière du 21 mai 1743. Dans la seconde de ces lettres, il lui dit : « Je vous enverrai bientôt l'Avant-propos de mes Mémoires. Je ne puis vous envoyer tout l'ouvrage, car il ne peut paraître qu'après ma mort et celle de mes contemporains, et cela parce qu'il est écrit en toute vérité, et que je ne me suis éloigné en quoi que ce soit de la fidélité qu'un historien doit mettre dans ses récits. » D'après la réponse de Voltaire, on voit que cet Avant-propos de 1743, destiné seulement au premier volume de l'Histoire de mon temps, était très - différent de celui qui précède la rédaction terminée en 1746; c'est ce dernier que nous reproduisons à la tête de notre édition, il est conforme au manuscrit autographe. Le ministre d'Etat comte de Hertzberg avait déjà publié en 1787 cet Avant-propos dans ses Huit dissertations, sans l'admettre dans les Œuvres posthumes.
La Relation de la bataille de Chotusitz que le Roi composa pour les gazettes deux jours après cette victoire, a été ajoutée par nous au premier volume de l'Histoire de mon temps; nous lui avons assigné cette place parce que l'Auteur, dans plusieurs de ses lettres, montre qu'il y attachait de l'importance. C'est ainsi que, le 19 mai 1742, il écrit du camp de Czaslau au marquis de Valori, ambassadeur de France à la cour de Berlin : « Je joins ici une relation exacte et très-fidèle de ce qui s'est passé à la journée de Chotusitz, dont vous pourriez faire tel usage que vous trouverez convenable. » - A Jordan, trois jours après la victoire : « La relation qui paraîtra, de ce <XI>qui a précédé et suivi la bataille, est dressée par moi-même, et elle est conforme à la plus sévère vérité. » - A Algarotti, le 29 mai : « La relation que vous lirez est de ma plume, et exacte, et conforme à la plus sévère vérité. » - Il écrit encore à Jordan, le 5 juin : « La relation imprimée de Berlin, qui sans doute court à présent tous les cafés de l'Europe, est sortie de ma plume. J'ai détaillé toute l'action avec exactitude et avec vérité. » - Et à Voltaire, le 18 juin : « Je vous envoie la relation que j'ai faite moi-même de la dernière bataille, comme vous me la demandez. » Voltaire répondit au Roi : « La relation de votre bataille de Chotusitz, que vous avez eu la bonté de m'envoyer, prouve que vous savez écrire comme combattre; j'y vois, autant qu'un pauvre petit philosophe peut voir, l'intelligence d'un grand général à travers toute votre modestie. Cette simplicité est bien plus héroïque que ces inscriptions fastueuses qui ornaient autrefois trop superbement la galerie de Versailles, et que Louis XIV fit ôter par le conseil de Despréaux; car on n'est jamais loué que par les faits. »
Frédéric fit traduire cette relation en allemand, et la publia dans les deux gazettes de Berlin du 29 mai; le texte français parut le même jour, dans une édition spéciale, sous le titre de Relation de la bataille de Chotusitz. A Berlin, 1742, in-4.
Dans l'impossibilité de nous procurer l'édition originale, nous avons eu recours aux archives du Cabinet, où est conservée (F. 8. H.) la minute du texte, de la main d'un secrétaire du Roi, et corrigée par un des conseillers de Cabinet. Il s'y trouve également une copie de cette pièce : c'est ce dernier manuscrit que nous publions; il est conforme à la traduction allemande.
On remarquera aisément que le Roi ne s'est pas servi de cette Relation pour composer, dans l'Histoire de mon temps, le récit de la bataille de Chotusitz.
Nous avons jugé convenable de donner, à la fin du second volume, la Correspondance du Roi avec Sir Thomas Villiers relative à l'histoire de la paix de Dresde, parce qu'immédiatement après la paix de Dresde cette correspondance fut publiée, selon toute vraisemblance par Villiers lui-même. Le libraire Haude de Berlin, au mois de février 1746, exprima le désir de la réimprimer : le Roi, en y consentant, lui fit demander l'édition de Londres, pour y ajouter encore quelques mots de sa propre main.
C'est cette réimpression que nous reproduisons; elle a pour titre : <XII>Recueil de quelques lettres et autres pièces intéressantes pour servir à l'histoire, de la paix de Dresde. A Berlin, 1746, 112 pages in-8.
Quant aux additions ou changements apportés par le Roi, nous ne saurions en parler positivement, n'ayant pas eu sous les yeux l'édition de Londres. Cependant l'on doit supposer que le Roi n'exécuta pas son dessein, car il parut en 1746 une autre édition de ces lettres, sans indication de libraire ni de lieu d'impression; nous y avons trouvé les mots à Dresde, p. 233, et de Sa Majesté et à la pureté, p. 235, oubliés dans l'édition du libraire Haude, à laquelle d'ailleurs elle est entièrement conforme : nous en concluons qu'elle a été faite sur un autre texte, qui ne peut être que celui de l'édition de Londres.
Berlin, ce 20 novembre 1845.
J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.