39. AU MÊME.
Breslau, 14 mai 1762.
Votre lettre m'a été bien rendue, mon cher mylord. Je vois que vous continuez d'être mécontent de vos Neufchâtelois; si vous ne voulez plus les gouverner, il faudra les abandonner à leur turpitude, et vous en agirez comme vous le voudrez. Pour moi, je suis si accablé d'affaires, que je laisserai vos Suisses disputer sur l'éternité des peines, sans m'embarrasser de l'opinion la plus orthodoxe ou la plus philosophique. Vous faites trop d'honneur à moi, indigne, de me croire inspiré par Pallas; je voudrais fort l'être, mais je crois que je finirai par les Petites-Maisons, vu l'espèce de conspiration qu'ont tramée les princes et les rois pour me faire tourner la tête. Il n'y a que mon divin empereur de Russie dont je ne cesserai de publier les louanges tant que je vivrai. Je crois que le ciel l'a fait naître pour prouver au monde que la vertu est très-compatible avec les qualités du trône. Il n'en est pas de même de vos compatriotes, mon cher mylord; il faudrait un Astolphe pour chercher de certaines fioles que je soupçonne fort que saint Jean leur garde dans la lune.a Voilà la saison des opérations qui va commencer, et je me tiens ici comme un sot; mais ne va pas à Corinthe qui veut.b Les affaires politiques et militaires sont à présent dans un étrange chaos; il faut quelque dieu de machine pour débrouiller tout cela. Le ciel nous assiste! Je vous prie de redoubler vos souhaits pour nous; si les vœux des honnêtes gens sont favorablement reçus des dieux, les vôtres doivent être efficaces. Adieu, mon cher mylord; j'ai la tête surchargée, je ne vous écrirais que des pauvretés, si je continuais. Continuez-moi votre amitié, et soyez persuadé de la mienne.
a Voyez le Roland furieux de l'Arioste, chant XXXIV, stances 82-87.
b Voyez Horace, Épîtres, liv. I, ép. 17, v. 36.