23. DE M. DARGET.

Vincennes, 27 avril 1754.



Sire,

Le bonheur de marquer à Votre Majesté mon zèle et mon dévouement me ferait faire des miracles, et c'en serait peut-être un que de trouver une danseuse telle que V. M. la demande. Quand ces filles-là sont d'une aussi jolie figure, Paris est pour elles un Pérou qu'elles ne veulent point abandonner. Quoi qu'il en soit, Sire, les intérêts de votre théâtre sont remis au sieur Petit, agent de V. M., et j'ose l'assurer que personne n'est plus capable que lui de conduire ces sortes de négociations. Il est juste qu'il en ait tout l'honneur, puisqu'il en a toute la peine, et il m'a fait sentir que ce serait nuire à sa besogne que de vouloir le seconder.

Je sais qu'il va partir incessamment pour Berlin un nommé de Caen, horloger; c'est un excellent ouvrier, et V. M. fait en lui une excellente acquisition.

Je ne suis point surpris des démarches de M. de Voltaire pour retourner auprès de V. M. Il a l'esprit trop beau pour ne l'avoir pas raisonnable une fois en sa vie; mais votre répugnance, Sire, est également fondée, puisqu'il a eu le malheur de vous manquer essentiellement. Ce que V. M. a bien voulu m'écrire là-dessus m'a fait d'autant plus de plaisir, que l'on avait débité ici qu'elle avait marqué quelque envie de le revoir. Je sais même que le <46>président51-a en avait été fort effrayé. Je crois que l'on saura un jour des choses bien singulières sur tout cela, que l'obscurité dérobe encore. Quoi qu'il en soit, Sire, votre gloire triomphe et triomphera toujours de tout. On est autorisé à s'amuser des choses agréables quand on en fait continuellement d'utiles, et c'est d'après celles-ci que les princes sont jugés par les sages et par la postérité. Que l'Épître à votre esprit,51-b Sire, ne peut-elle être publique! V. M. doit permettre qu'on la lui dérobe quand elle voudra publier la meilleure de toutes les apologies.

On assure ici que M. de Voltaire passera tout l'été à Plombières, et qu'il se fixera ensuite à Strasbourg; il a fait des démarches pour aller à Lunéville, mais sans succès. Tout ce qui tient à ce pays-ci ne se prêtera jamais à rien qui paraisse s'éloigner de la considération particulière que l'on aime à y marquer à V. M.

Il est vrai, Sire, que ma santé est toujours fort dérangée; cet hiver a été et trop rude, et trop long; tous les climats se sont ressemblés. D'ailleurs, V. M. sait mieux qu'aucun autre à quel point les âmes sensibles sont affectées de tout ce qui les environne. Ce don malheureux de la nature n'est point affaibli chez moi, et le souvenir des bontés de V. M. se représente très-souvent à mon cœur et à mon esprit de la manière la plus attendrissante; la grâce que vous daignez me faire, Sire, en me les continuant, redouble encore cet attendrissement. J'ose supplier V. M. de ne pas m'en retirer les témoignages. Je compte toujours fermement sur la protection qu'elle a daigné me promettre; c'est sur votre appui, Sire, que je fonde les plus fortes espérances. Il est dans la bonté du cœur de V. M. d'aimer que je lui doive mon bonheur, même dans l'éloignement, et il redoublera de prix pour moi quand je le tiendrai d'elle.

Je joins ici la copie de deux lettres qui font grand bruit à Paris, et qui sont authentiques.

Je suis avec le plus profond respect, Sire, etc.


51-a Maupertuis, président de l'Académie de Berlin. Voyez ci-dessus, p. 43.

51-b Voyez t. X, p. 248-258.