XV. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC MYLORD MARISCHAL (MAI 1754 - 1778.)[Titelblatt]
<256><257>1. A MYLORD MARISCHAL.
(Mai 1754.)
Vous saurez qu'il y a un homme, à Paris, du plus grand mérite, qui ne jouit pas d'avantages de la fortune proportionnés à ses talents et à son caractère. Je pourrais servir d'yeux à l'aveugle déesse, et réparer au moins quelques-uns de ses torts. Je vous prie d'offrir, par cette considération, une pension de douze cents livres287-a à M. d'Alembert; c'est peu pour son mérite, mais je me flatte qu'il l'acceptera en faveur du plaisir que j'aurai d'avoir obligé un homme qui joint la bonté du caractère aux talents les plus sublimes de l'esprit. Vous qui pensez si bien, vous partagerez avec moi, mon cher mylord, la satisfaction d'avoir mis un des plus beaux génies de la France dans une situation plus aisée. Je me flatte de voir M. d'Alembert ici; il a promis de me faire cette galanterie dès qu'il aura achevé son Encyclopédie. Pour vous, mon cher mylord, je ne sais quand je vous reverrai; mais soyez persuadé que ce sera toujours trop tard, eu égard à l'estime et à l'amitié que j'ai pour vous.
2. DE MYLORD MARISCHAL.
Neufchâtel, 22 septembre 1754.
Sire,
Je suis arrivé, il y a deux jours, las comme un chien, par les mauvais chemins et le mauvais temps, quoique en approchant d'ici il <258>s'était remis au beau. En entrant en Suisse, la première nuit on me donna au cabaret des cerises, la seconde des fraises et des framboises. J'avais une belle peur, car les cerises encore n'étaient-elles pas mûres; mais dans le château où la bonté de V. M. m'a donné les invalides, j'ai jusqu'à cette heure un temps d'Espagne et la plus belle vue du monde. J'ai déjà essuyé bien des harangues; chacun en particulier et chaque corps en corps m'en fait, et j'en ai bien encore qui m'attendent. Ma grandeur s'acquitte très-mal des réponses; j'ai mieux fait à l'église ce matin, où l'ennui du sermon aura sans doute passé pour un air de contrition. J'espère que la Vénérable Classe288-a a été édifiée de ma contenance; j'ai naturellement le museau triste et de Calvin. Dans huit jours les cérémonies se finiront, et je supplie V. M. de croire que je ferai vos affaires de mon mieux, et que j'ai l'honneur d'être avec la plus parfaite reconnaissance et le plus profond respect
de Votre Majesté
le très-humble et très-obéissant et très-fidèle serviteur,
Le Maréchal d'Écosse.
3. A MYLORD MARISCHAL.
Le 31 décembre 1754.
Mon cher mylord, je suis fort étonné de la barbarie qui règne encore dans les lois de votre gouvernement, après que j'ai abrogé dans tout le pays les restes des usages sauvages de nos anciens Germains. Vous me ferez plaisir et je vous autorise à faire cesser incessamment et la question,289-a et la pénitence des Madeleines.289-b Je sens bien que je serai obligé d'envoyer là-bas quelqu'un de la <259>justice pour mettre le droit sur le même pied qu'on l'a établi ici. Je vous félicite d'avoir attrapé la fin des harangues, mais je me flatte que vous en aurez pour demain, et, si je ne croyais vous importuner, j'y ajouterais volontiers une cicéronienne de ma part, quoique j'espère que vous croirez bien sans harangue que je vous souhaite mille biens le 1er de janvier comme le dernier de décembre, et que je suis avec toute l'estime et l'amitié possible votre fidèle ami.
Plus de Voltaire, mon cher mylord. Ce fou est allé à Avignon,289-c où ma sœur l'a mandé. Je crains fort qu'elle ne s'en repente bientôt.
4. AU MÊME.
Le 20 (février 1755).
Mon cher gouverneur, je suis charmé de vous voir occupé d'objets si utiles pour votre petite province. On voit que les lois de tout pays se sont ressenties du temps dans lequel on les a créées, et il restait un coin de barbarie dont enfin on viendra à bout de détruire les restes. Nous avons ici un hiver qui fait paroli au vôtre. De ma vie je n'en ai vu d'aussi vilain; il a été funeste à bien du inonde. Madame de Keyserlingk290-a en est morte, et votre ami Gorin,290-b après avoir lutté longtemps contre les infirmités et les faiblesses qu'il avait gagnées dans la campagne du jeune Édouard, a enfin succombé; il est mort dans quatre jours d'une fièvre inflammatoire. Je suis bien aise que sa longue maladie m'ait empêché de faire véritablement connaissance avec lui, ce qui me l'aurait fait regretter davantage. Il a la consolation rare après sa mort que tout le monde dit du bien de lui. Adieu, mon <260>cher mylord; je vous souhaite longue vie, un climat chaud, du plaisir en quantité, et que vous n'oubliiez pas vos amis, du nombre desquels j'espère que vous me comptez.
5. AU MÊME.
Potsdam, 29 juillet 1755.
Mylord, j'ai reçu votre lettre du 12 de ce mois avec la pièce que vous avez voulu me communiquer. Sans vouloir entrer dans les questions pour et contre de vos ecclésiastiques au sujet de l'abolition des pénitences publiques, il n'est point du tout nécessaire que vous délibériez davantage avec eux sur ce point; je suis leur suprême évêque, ma volonté seule décide en pareil cas selon tous les droits, et par mon autorité je vous charge de passer outre et d'abolir tout à fait ces pénitences publiques comme abusives et scandaleuses. J'attends, au reste, votre rapport sur le succès que l'on peut se promettre de l'établissement de la loterie projetée. Sur ce, je prie Dieu, etc.
6. AU MÊME.
(Potsdam) 8 février (1756).
Ne m'accusez point de paresse, mon cher mylord; j'ai été si prodigieusement occupé depuis un temps (vous jugez bien de quoi291-a), qu'il m'a été impossible de vous écrire; l'agitation dure encore, et il faudra bien un mois pour que je puisse regagner la tranquillité propre à notre correspondance. Je ne vous en ai pas moins <261>d'obligation des graines de melon que vous avez eu la bonté de m'envoyer, ainsi que de la doctrine tolérante que vous vous efforcez d'introduire dans votre gouvernement. Ce serait couronner l'œuvre que de faire réussir cette loterie dont personne ne veut. Je crois qu'il faut être dissipateur et prodigue pour avoir du crédit; je vois que cela réussit partout; il faudra imiter les autres.
On menace votre gouvernement de Voltaire,291-b d'un tremblement de terre, de madame Denis et d'une comète; il ne faut qu'un de ces fléaux pour tout détruire. J'espère qu'il en sera de ces conjectures comme de bien d'autres. On a prophétisé à peu près les mêmes malheurs à la reine de Hongrie; j'en excepte Voltaire. Elle a indiqué des jeûnes, des prières; on expose le venerabile à Vienne. Sans doute qu'après cela le bon Dieu y pensera plus d'une fois avant que d'entamer l'Autriche. On vous dira sans doute, mon cher mylord, que je suis un peu moins jacobite292-a que je ne l'ai été; ne me prenez point en haine pour cela, et soyez persuadé que je vous estime toujours également. Adieu.
7. MYLORD MARISCHAL A SON FRÈRE LE FELD-MARÉCHAL KEITH.
Le 12 février 1756.
Hospodin General, j'ai écrit au Roi par ce courrier, le priant de me donner mon congé. Je lui dis seulement que je me trouve trop chargé d'affaires, et que je serai toujours reconnaissant (ce qui est bien vrai) de sa bonté de m'avoir donné une douce re<262>traite dans mes vieux jours, mais que l'effet ne répond pas à son intention par la situation et train d'affaires du pays; et il est sûr que j'en ai trop. Je vois chaque jour de nouvelles raisons à me déterminer au parti d'une retraite absolue : mon âge, mon peu de connaissances en affaires de procès et de droit, les embarras des priviléges mal expliqués, et puis l'impossibilité de contenter les ministres. Je viens de recevoir un rescrit, par ordre exprès du Roi, qui dit : « Quoique vous m'ayez assuré par votre très-humble rapport du ...... que le magistrat de Neufchâtel n'ait pas accordé depuis votre arrivée dans le pays le droit de bourgeoisie dudit lieu à personne, et que mes hauts intérêts ne soient pas négligés à cet égard, j'ai pourtant vu, par un placet que Jonas Gélieu, etc. m'a envoyé, etc., qu'un jeune étranger, qui en a offert deux mille écus, a acheté, depuis, cette bourgeoisie. » Puis on ajoute : « Vous aurez soin de vous informer et de me mander qui est ce jeune étranger, et si ledit magistrat lui a accordé le droit de bourgeoisie sans ma permission préalable, que je ne me souviens pas d'avoir donnée, et que je me suis réservée expressément, moyennant un rescrit en date ...... 1750. » Je n'entre point en dispute sur ceci avec les ministres; j'envoie simplement un certificat du chancelier et un autre du secrétaire de la ville, qu'il ne s'en est pas fait de bourgeois, et que par conséquence j'ai dit vrai. Je me contenterai de la polenta et de ne point être obligé de passer ma vie qui me reste à m'excuser sur des choses où je ne crois pas avoir tort, et je me retirerai en même temps d'un emploi où, avec les meilleures intentions du monde, je pourrais, par ignorance, avoir souvent tort.
Si mes affaires avaient été rangées de chez moi un peu mieux, j'aurais resté ici; mais, ne l'étant pas, je ne connais qu'à Saint-Marc où je pourrais vivre.
<263>8. A MYLORD MARISCHAL.
(Février 1756.)
Je vous vois quitter à regret une place, mon cher mylord, qui sera toujours mal remplie par votre successeur. Vous pouvez choisir tel endroit pour votre demeure qu'il vous plaira, sûr que j'y donnerai les mains toutes fois et quantes l'endroit se trouvera à ma disposition. Je trouve heureux ceux qui, à un certain âge, peuvent se retirer des affaires, et ce bonheur me paraît d'autant plus grand, que je crains fort de n'en jouir jamais. Des projets, des soins, des embarras, voilà tout ce que fournissent les grandeurs humaines. Quand on a vu quelquefois cette lanterne magique, on en a tout son soûl; mais malheur au Savoyard qui la porte! Toutes nos peines n'aboutissent souvent qu'à vouloir rendre des gens heureux, qui ne veulent point l'être, à régler l'incertitude de l'avenir, qui renverse nos projets. Quand tout cela s'est fait pendant un nombre d'années, voici le moment où il faut décamper, et, calcul fait, on trouve qu'on a vécu pour les autres, et point pour soi-même. Mais chaque machine est faite pour un certain usage, la pendule pour marquer les heures, le tournebroche pour rôtir, les meules d'un moulin pour tourner. Tournons donc, puisque tel est mon lot; mais soyez persuadé que, pendant que je tourne malgré moi, personne ne s'intéresse plus à votre repos philosophique que votre ami de tous les temps et de toutes les situations où vous vous trouverez. Adieu.
9. AU MÊME.
(Potsdam) ce 17 (mars 1756).
La poste d'aujourd'hui, mon cher mylord, m'a apporté deux de vos lettres. Dans la première, vous me dites tant de choses obligeantes, qu'elles ne peuvent qu'augmenter l'amitié et la recon<264>naissance que j'ai pour vous. Je vois ensuite qu'il faudra absolument devenir mauvais économe pour avoir du crédit; mais je suis encore incertain si le jeu vaudra la chandelle.
Vous avez fait une alliance suisse là-bas, qui fera grand plaisir à MM. les Neufchâtelois. Pour moi, mon cher mylord, je ne fais que des misères politiques; j'essaye d'accorder des gens peu accordables. Je voudrais qu'on ne se détruisît pas en Europe pour savoir qui péchera des merluches,295-a et qu'on prît moins à cœur la possession de la montagne d'Apalache295-a et des déserts de la Cayenne,295-a où ni vous ni moi n'irons jamais, et qui rapporteront très-peu aux heureux qui s'assureront cette possession. J'aurais de quoi ajouter bien des autres, si je voulais, à la suite de ceux-ci; mais je les supprime par prudence, sentant l'impossibilité qu'il y a à rendre le monde raisonnable, et que le plus sûr parti est de laisser aller le monde comme il va.
Je vous fais mille remercîments des peines que vous vous êtes données pour me commander un tableau chez Pompeo. Je serais fort tenté d'en avoir deux de Mengs et un de Costanzi. Ces deux de Mengs pourraient être l'Éducation d'Adonis et celui295-b de Tirésias. Il pourrait les rendre pendants, et celui de Costanzi295-c pourrait faire le pendant de celui que fait Pompeo.295-d Il faudrait accorder des prix, mais il est inouï qu'on ait donné des arrhes sur un tableau. On avance aux orfèvres quand on commande des vaisselles d'argent, mais jamais aux peintres. Je vous laisse le maître de régler les prix et les accords comme vous le jugerez à propos, vous assurant, mon cher mylord, que vous n'avez aucun meilleur ami que moi.
<265>10. AU MÊME.
(Potsdam) ce 21 (mars 1756).
Je vous demande pardon, mon cher mylord, de la grande ânerie que j'ai faite de vous donner des commissions pour des tableaux d'Italie, qui devaient s'adresser à votre frère. J'avais, ce jour-là, beaucoup à faire, et, ne prenant garde ni à la main, ni à la date de la lettre, qui était du maréchal, je vous ai répondu au lieu de lui répondre. Vous ne pouvez pas me trouver aussi ridicule que je me trouve moi-même; aussi en suis-je tout confus. Je vous pourrais parler de l'Europe et des grandes affaires, je pourrais trouver toutes sortes de belles excuses; mais vous savez aussi bien que moi que l'Europe, grâce au ciel, ne repose pas sur mes épaules, et qu'elle ira son train sans que je m'en mêle. Ainsi je me contente de vous avouer ingénûment ma bévue. Je ne sais ni ce que les Français ni les Anglais feront; s'ils font des méprises comme la mienne, et s'ils envoient aux Indes orientales des ordres faits pour l'Amérique, j'espère qu'ils nous apprêteront à rire. Je voudrais que de part et d'autre ils fussent plus raisonnables; mais malheureusement il n'y a rien de moins sensé que l'homme tant de fois défini par excellence un animal raisonnable. Ceux qui définissent les hommes ne les connaissent pas; pour moi, si j'osais hasarder mon petit avis sur les attributs de notre espèce, j'aurais grande envie de nous définir : des animaux bavards qui raisonnent selon leurs passions. C'est à vous, mon cher mylord, qui avez plus couru le monde que moi, à examiner mon sentiment pour voir si ma définition est bonne, ou non. Vous êtes bien sûr de mes bénédictions, et de tout ce que compromet mon pouvoir spirituel et temporel, je n'y trouve à redire que l'efficacité; vouloir du bien aux gens n'est pas tout, le grand article est de leur en faire. N'oubliez pas, je vous prie, vos amis du Nord, et comptez toujours sur la véritable estime avec laquelle je suis votre fidèle ami.
<266>11. AU MÊME.
(Sans-Souci) 12 juin (1756).
Vous me flattez agréablement, mon cher mylord, de l'espérance de vous revoir. Vous pouvez venir hardiment; il ne gèle point ici, nous avons le plus beau temps du monde; j'espère donc de vous recevoir vers la mi-juillet, où je crois que le maréchal sera de retour de ses eaux. Je n'ai point écrit à Voltaire, comme vous le supposez; l'abbé de Prades est chargé de cette correspondance. Pour moi, qui connais le fou, je me garde bien de lui donner la moindre prise. Je crois que vous saurez bon gré à la revue de Magdebourg de ce que ma lettre est courte. Je pars dans peu297-a pour y voir des troupes. Adieu, mon cher mylord; conservez-moi votre amitié, et soyez sûr de la mienne.
12. AU MÊME.
(Sans-Souci) ce 20 (juin 1756).
Je vous répondrais volontiers, mon cher mylord, plus catégoriquement; mais dans la crise présente je suis si accablé d'affaires, que je vous demande en grâce le temps de pouvoir penser à Neufchâtel à mon aise. J'espère que vous voudrez donc bien avoir patience avec un pauvre politique qui se démène dans son petit recoin comme le diable dans un seau d'eau bénite. Vous assurant de la parfaite estime avec laquelle je suis votre fidèle ami, etc.
<267>13. AU MÊME.
Après la bataille de Kolin, 18 juin 1757.
Les grenadiers impériaux sont une troupe admirable; ils défendaient une hauteur que ma meilleure infanterie n'a jamais pu emporter. Ferdinand a attaqué sept fois, mais inutilement. A la première, il s'est emparé d'une batterie qu'il n'a pu garder. Les ennemis avaient l'avantage d'une artillerie nombreuse et bien servie; elle fait honneur à Lichtenstein,298-a qui en est directeur. La Prusse seule peut le lui disputer. J'avais trop peu d'infanterie. Toute ma cavalerie était présente, et a été oisive, à un coup de collier près, que j'ai donné avec mes gendarmes et quelques dragons. Ferdinand attaquait sans poudre, mais en revanche les ennemis n'ont pas épargné la leur. Ils avaient pour eux les hauteurs, des retranchements et une artillerie prodigieuse. Plusieurs de mes régiments ont été fusillés. Henri a fait des merveilles. Je tremble pour mes dignes frères; ils sont trop braves. La fortune m'a tourné le dos. Je devais m'y attendre; elle est femme, et je ne suis pas galant. Je devais prendre plus d'infanterie; vingt-trois bataillons ne suffisaient pas pour déloger soixante mille hommes d'un poste avantageux. Les succès, mon cher lord, donnent souvent une confiance nuisible; nous ferons mieux une autre fois. 298-bQue dites-vous de cette ligue qui n'a pour objet que le marquis de Brandebourg? Le Grand Électeur serait bien étonné de voir son petit-fils aux prises avec les Russes, les Autrichiens, presque toute l'Allemagne, et cent mille Français auxiliaires. Je ne sais s'il y aura de la honte à moi à succomber, mais je sais qu'il y aura peu de gloire à me vaincre.
<268>14. AU MÊME.
Faubourg de Breslau, 9 décembre 1757.
Mon cher mylord,
Je vous remercie, mon cher mylord, de la part que vous prenez à nos avantages. Le mauvais état de mes affaires de Silésie m'avait obligé d'y accourir après la bataille de Weissenfels.299-a Le 5 de ce mois, nous avons attaqué la grande armée autrichienne auprès de Lissa; la fortune nous a été favorable, et ils ont beaucoup souffert. Nous avons cent soixante-trois officiers des leurs prisonniers, dont deux lieutenants-généraux, au delà de vingt mille soldats, cent soixante-cinq canons, quarante-trois étendards ou drapeaux, et plus de trois mille chariots de bagage. Je suis actuellement occupé à reprendre Breslau, tandis que le général Zieten les talonne. Quando avrai fine il mio tormento!299-b Adieu, mon cher mylord; je vous embrasse.
15. AU MÊME.
(Breslau) 7 février (1758).
Je vous suis, mon cher mylord, très-obligé de votre souvenir; nous avons ici tant de gens qui pensent à la Suisse, que je vous prie de me débarrasser des Suisses qui se sont offerts chez vous. Je cours, mon cher mylord, les grandes aventures; les rois, les empereurs et les gazetiers se sont déchaînés contre moi. Mais j'espère de battre ou de faire battre les uns et les autres. Voilà, mon cher mylord, ma ferme intention, et j'attends philosophiquement l'événement, persuadé que l'inquiétude ne sert de rien, et qu'il n'arrivera que ce qu'il plaira au destin ou au hasard. Adieu, <269>mon cher mylord; je vous souhaite beaucoup de repos pendant les troubles d'Allemagne, et que vous n'oubliiez pas votre ami pendant qu'il court les grandes aventures.
16. AU MÊME.
Grüssau, 20 mars 1758.
Nous sommes condamnés à guerroyer encore cette année, mon cher mylord, et, grâce au ciel et au prince Ferdinand, les Français passeront bientôt le Rhin avec leur garantie de la paix de Westphalie, qui, par parenthèse, est devenue la meilleure de leurs fermes générales. Je suis ici dans les montagnes à couvrir le siége de Schweidnitz, qui va commencer dans peu de jours. Je ne sais quelle sera la fin de cette campagne, mais il est très-sûr que nous y ferons de notre mieux pour qu'elle soit bonne.
Vous m'envoyez une lettre de M. Le Commun, auquel je souhaite le sens commun; il a une machine infernale, dit-il, que quelqu'un a inventée pour détruire le genre humain. Qu'il la porte à Lucifer, s'il le veut; je lui payerais davantage le secret de bien guérir la c..... p.... ou les fièvres malignes. Je vous embrasse, mon cher mylord. Si tout le monde regardait les choses avec des yeux aussi philosophiques que nous deux, la paix serait rétablie il y a longtemps; mais nous avons affaire à des gens maudits de Dieu, puisqu'ils sont dévorés d'ambition; c'est pourquoi je les donne à tous les diables. Ne doutez, mon cher mylord, de l'amitié et de la considération que je ne cesserai d'avoir pour vous qu'en perdant le sentiment et la vie.
<270>17. AU MÊME.
Königingrätz, 20 juillet (1758).
Mon cher mylord, je n'ai pas douté de la part que vous prendriez à la mort de mon pauvre frère.301-a C'est un grand sujet d'affliction pour moi; mais je n'ai pas seulement le temps de le pleurer. Voici, mon cher mylord, de nouveaux ennemis auxquels il faut résister. C'est un métier de chien que je fais. Si la moindre mesure me manque, je suis perdu. Veuille le ciel mettre une fin heureuse à cette dure carrière! D'Alembert en parle à son aise; mais nous qui sommes jugés non sur nos mesures, mais sur les événements, le moindre revers nous rend et malheureux, et ridicules encore. Adieu, mon cher mylord; vivez en paix à Colombier, et faites dire des messes pour l'âme de votre ami qui est en purgatoire. Je vous embrasse de tout mon cœur.
18. AU MÊME.
Schönfeld, 25 septembre 1758.
Vous êtes curieux, dites-vous, mon cher mylord, d'apprendre des détails de cette bataille302-a dont vous me faites des compliments. Comme j'ai été continuellement en mouvement depuis ce temps-là, vous aurez trouvé la relation qui en a été publiée fort sèche. Tout ce que je puis vous en dire, c'est que les Russes n'ont aucuns généraux. Ils ne savent pas faire la guerre avec l'art des peuples policés, d'où vient que le soldat, faisant un faux emploi de sa valeur, est facilement mis en déroute. Notre cavalerie a presque tout fait. L'ennemi a perdu vingt-six mille morts sur la place. Cela paraît prodigieux, mais cela est très-vrai. Nous <271>avons outre cela six généraux, quatre-vingts officiers et passé deux mille hommes de prisonniers. On compte les blessés que les Russes ont traînés avec eux au nombre de neuf mille hommes. Voilà le gros de l'affaire, et ce qui a été le résultat de cette sanglante journée. Depuis, les mouvements du maréchal Daun et de l'armée de l'Empire m'ont obligé d'accourir de ce côté-ci, où j'ai été arrêté jusqu'à présent par les postes de ces gens-là.302-b L'on dirait que le mont Caucase, ou le pic de Ténériffe, ou les Cordillères ont enfanté les généraux autrichiens; dès qu'ils voient une montagne, ils sont dessus; ils sont amoureux des rochers et des défilés à la folie. Cela rend la guerre pénible et longue, ce qui ne me convient ni l'un ni l'autre. J'aurai encore six semaines à danser sur la corde; dès que l'hiver sera venu, et que vous saurez la fin du spectacle, je vous répondrai plus au long sur tout ce que vous voudrez m'interroger. Adieu, mon cher ami; je vous embrasse.
19. AU MÊME.
Ramsen (Rammenau), 4 octobre 1758.
J'ai reçu, mon cher mylord, une de vos lettres, du 10 août. Je mets son retardement sur le compte de tous les contre-temps qu'amène la guerre. Je suis d'autant plus sensible aux marques de votre amitié, que depuis longtemps je suis en butte à la haine de l'Europe entière; c'est le cas d'un homme qui ressent d'autant mieux les agréments de la société, qu'il en a été privé depuis longtemps. Je crois, tout comme vous, que Cartouche, le comte Kaunitz, l'abbé de Bernis, Palmstjerna, etc., etc., etc., ont une âme toute pareille; mais la différence qu'il y a, c'est que la justice pouvait faire rouer Cartouche,303-a et que nos politiques modernes sont au-dessus de toute juridiction. Ils se tiennent tranquilles dans leurs cours, tandis que leurs satellites jouent les scènes <272>les plus sanglantes. Il faut la patience du bonhomme Job pour supporter tout ceci, et je préférerais la fièvre du pauvre Maupertuis303-b aux inquiétudes de la vie que je mène, car on voit la fin de l'une, et pas de l'autre. Il est vrai que l'on commence à parler de ces gens qui, au lieu de porter des chapeaux, entortillent leurs têtes de mousseline; mais cela est loin encore. Quoi qu'il en arrive, mon cher mylord, heureux ou malheureux, mort ou vif, vous pouvez compter que, tant que durera mon existence, vous aurez en moi un fidèle ami.
20. AU MÊME.
Doberschütz, 19 octobre 1758.
304-aC'est avec bien des regrets, mylord Maréchal d'Écosse, que je vous annonce la mort de mon brave maréchal Keith;304-b et, comme si tous les malheurs devaient se réunir pour m'accabler, la princesse de Baireuth, cette sœur la plus chérie, et qui mérita le plus de l'être, vient aussi de m'être enlevée.304-c Dieu vous conserve et vous ait en sa sainte garde!
304-dQuelle triste nouvelle et pour vous, et pour moi!
<273>21. AU MÊME.
Dresde, 23 novembre 1758.
Il ne nous reste, mon cher mylord, que de mêler et confondre nos larmes sur nos pertes. Si ma tête contenait un réservoir de pleurs, il ne pourrait suffire à ma douleur. Notre campagne est finie, et il n'en est rien résulté de part et d'autre que la perte de bien des honnêtes gens, le malheur de bien des pauvres soldats estropiés pour toujours, la ruine de quelques provinces, le ravage, le pillage et l'incendie de quelques villes florissantes. Voilà, mon cher mylord, les exploits qui font frémir l'humanité, tristes effets de la méchanceté et de l'ambition de quelques hommes puissants qui immolent tout à leurs passions désordonnées! Je vous souhaite, mon cher mylord, rien qui ait le moindre rapport à ma destinée, mais tout ce qui lui manque. C'est le seul moyen pour que vous soyez heureux; j'y prends part plus que personne en qualité de votre ancien ami, qualité que je conserverai jusqu'au tombeau.
22. AU MÊME.
Dresde, 8 décembre 1758.
Sans déchirer encore nos blessures, mon cher mylord, en y portant une main indiscrète, je passe le sujet de nos afflictions et de nos armes pour en venir à votre voyage d'Espagne. Je reconnais en cela les marques de votre amitié et le désir que vous avez à servir un État que votre ami gouverne. Je fournirai à la somme que vous exigez pour votre voyage. Il sera difficile de vous donner des instructions; on ne sait pas même certainement si l'Espagne voudra prendre sur elle la médiation de la paix. En cas que cela soit, vous êtes persuadé d'avance que j'aimerais mieux <274>mourir mille fois que de consentir à des conditions de paix flétrissantes pour la Prusse; que peut-être on pourrait même tirer quelques avantages d'un accommodement; et, comme c'est un préalable de captiver la faveur des médiateurs, personne que vous n'est plus fait à se faire aimer et à rendre respectable et aimable la cour qui vous emploie. Je ne puis vous donner des instructions précises avant que nos ennemis ne commencent à parler, ou que les organes par lesquels ils veulent communiquer leurs intentions ne nous les expliquent. Vous m'apprenez que mes ennemis me calomnient jusqu'à l'Escurial. J'y suis accoutumé : je n'entends que mensonges répandus sur mon sujet; je ne suis presque nourri que d'infâmes satires et que d'impostures grossières que la haine et l'animosité ne cessent de publier en Europe. Mais on s'accoutume à tout; Louis XIV devait être à la fin aussi dégoûté et rassasié des flatteries dont il avait sans cesse les oreilles pleines que je le suis de tout le mal qu'on dit de moi. Ce sont des armes indignes que les grands princes ne devraient jamais employer contre leurs égaux; c'est se dégrader mutuellement et apprendre au public à rire de ce que l'intérêt des princes devrait lui rendre respectable. Qu'importent ces petites humiliations de l'amour-propre? Nos ennemis nous font souvent du bien en nous persécutant :
Au Cid persécuté Cinna dut sa naissance.306-aJe les abandonne donc à tous les mouvements de leur haine, à toute la fureur de leur ressentiment, pour vous assurer, mon cher mylord, que, tant que je vivrai, vous pourrez compter sur la constance et la solidité de mon amitié.
<275>23. AU MÊME.
Dresde, 9 décembre 1758.
J'aime la paix, comme vous le dites, mon cher mylord, autant qu'un autre, et peut-être encore par des sentiments d'humanité qui sont assez inconnus à vos politiques. Reste à savoir les conditions auxquelles on peut la conclure; c'est la pierre de touche, et qui doit décider de son acheminement. Il est sûr que, si tout le monde y trouve son compte, avec un coup de plume chacun pourra s'en retourner satisfait chez soi; mais, s'il s'agit d'une trêve et qu'il faudra dans quelques années se baigner de nouveau dans le sang, ce ne serait pas la peine de suspendre à présent l'exercice dans lequel on est de s'entr'égorger. Faites que ces gens qui se disent si pacifiques commencent à articuler les conditions d'accommodement, que l'on voie où ils visent et à quoi l'on peut s'attendre d'eux; c'est par où il leur faut tâter le pouls. S'ils s'en tiennent à des paralogismes vagues, c'est un signe certain qu'ils n'ont d'autre but que de semer la défiance et la zizanie entre mes alliés et moi; s'ils s'expliquent, s'ils parlent, je pourrais communiquer leurs propositions à mes alliés, desquels je ne me séparerai jamais, et ces ouvertures pourront donner lieu à une négociation en forme, ou à la tenue d'un congrès. Voilà mes idées. Je les crois justes et naturelles; voir venir, faire parler les autres, se concerter avec mes alliés, c'est ce qui me convient et que je dois faire. Mendier la paix, fléchir devant des ennemis qui m'ont persécuté d'une manière cruelle et atroce, voilà ce que je ne ferai jamais. Adieu, mon cher ami; je pars demain pour Breslau,307-a où j'établis mon quartier, vous assurant de la constance des sentiments que je vous ai voués pour la vie.
<276>24. AU MÊME.
Breslau, 2 janvier 1759.
J'ai vu, mon cher mylord, par la lettre que vous avez écrite à Eichel,308-a ce que vous désirez de moi touchant vos affaires. Je me fais un plaisir de pouvoir vous être utile. Je parlerai dès demain à M. Mitchell308-b de ce que vous souhaitez. Je ne traiterai point mon intercession avec froideur, mais avec tout le zèle de l'amitié; je négocierai chaudement, et, s'il y a moyen de vous contenter, je l'obtiendrai. Je vous prie néanmoins de penser que la réussite de l'affaire ne dépend pas de moi, que les ministres et les gens en place sont pour l'ordinaire durs; et, accoutumés comme ils le sont à des recommandations journalières, ils n'en font pas grand cas. Mais de quoi je puis vous assurer, et sur quoi vous pouvez compter, c'est que je ne vous manquerai pas, et que, n'eussé-je qu'une chemise, je la partagerais avec vous.
Je crois que j'ai deviné l'article que vous avez barré dans votre lettre. On dit le roi d'Espagne malade de corps et d'esprit, prêt à abdiquer et prêt à descendre au tombeau. Vous jugez dans quelle situation cette crise jette les personnes attachées au gouvernement. On parle de Don Carlos; on croit qu'il veut avoir l'Espagne et garder le royaume de Naples. Il a raison, mais d'autres ne l'entendent pas ainsi; ceux qui veulent percer dans l'avenir croient que tout ce brouillamini pourrait mener à une guerre en Italie, au moins brouiller ces deux chers amis qui se tendent la main pour m'assassiner très-chrétiennement et très-apostoliquement. Mais ce n'est pas de quoi je m'embarrasse; je n'ai que mon épée et ma juste cause pour moi, et je me persuade que ce hasard qui fait éclore des événements si extraordinaires en amènera peut-être quelqu'un d'heureux; et, si cela n'arrive pas, il faut également prendre son parti. Adieu, mon cher mylord; je vous embrasse de tout mon cœur.
<277>25. AU MÊME.
(Breslau) 18 janvier (1759).
Mon cher mylord, j'ai reçu deux de vos lettres, l'une concernant l'héritage de votre respectable frère, l'autre touchant les affaires d'Espagne. J'ai fait ce que vous exigez de moi, c'est-à-dire, autant que les lois me permettent de me mêler d'un testament militaire et de la volonté de ceux qui sont morts en combattant pour l'État.309-a Pour ce qui regarde le second article, je crois que, si vous différez votre voyage de quelques semaines, ce ne sera qu'un bien, pour que l'on voie premièrement si le roi d'Espagne demeurera sur le trône, s'il mourra, et quelle face les affaires prendront à Madrid. Car il n'est pas apparent que, tandis que l'on est occupé à régler la succession, ou qu'un nouveau roi voudra s'affermir sur le trône, on emploie ces premiers moments à se mêler d'une médiation. Mais après que cela se sera un peu éclairci, alors je crois que votre voyage pourra être très-utile. Je crois que vous devez avoir reçu à présent les deux cents pistoles. Pour la lettre que vous me demandez, je vous l'écrirai sans grande peine; ce sont mes sentiments, qui ne me coûteront aucune contrainte à exprimer. Adieu, mon cher mylord; je vous embrasse. N'oubliez pas un pauvre diable qui, ne croyant pas trop au purgatoire, en éprouve toutes les horreurs dans ce monde-ci.
NB. Je dois vous avertir qu'on est à présent en France plus éloigné de la paix que jamais. Le duc de Choiseul est l'esclave de Vienne. On a trop exagéré le mérite de Bernis lorsqu'il était en faveur; on le blâme trop à présent. Il ne méritait ni l'un ni l'autre.310-a
<278>26. AU MÊME.
(Breslau) ce 11 (février 1759).
Je reçois votre lettre, mon cher mylord, et j'y vois votre départ pour Nice; je suis bien aise de vous envoyer en même temps un extrait de mes lettres d'Angleterre, par lequel vous verrez que j'ai heureusement réussi dans la commission que vous m'avez donnée. Je vous en fais mes compliments de tout mon cœur, en vous assurant que rien n'altérera l'estime que j'ai pour vous.
27. FRÉDÉRIC AU ROI D'ANGLETERRE.
Breslau, 6 janvier 1759.
Monsieur mon frère,
Votre Majesté ne désapprouvera pas si je lui écris aujourd'hui pour lui demander une faveur qui sera en même temps un acte de clémence de sa part. Je sais combien elle y est portée par sa générosité naturelle; ainsi, bien loin de lui faire de la peine, je crois lui faire plaisir en lui fournissant une occasion de plus à manifester sa bonté et sa miséricorde. Il s'agit de mon vieil ami, le frère du maréchal Keith qui a été malheureusement tué à Hochkirch. Il a suivi dans sa jeunesse, et plein de préjugés que ses parents lui inspiraient, le parti auquel sa famille a été autrefois attachée. Il sent lui-même combien, dans des temps de troubles et de discordes civiles, il est facile de s'égarer. Il implore la clémence de V. M., et lui demande pardon du passé, non pas pour rentrer en possession des biens qui lui ont été confisqués, mais pour être habile de pouvoir jouir d'une succession d'un de ses cousins qui vient de mourir depuis peu. Je suis sûr que V. M. voudra bien faire quelque chose pour lui; je me rends sa caution, et je suis prêt de répondre pour lui, d'autant plus que quiconque ne penserait pas comme moi sur les intérêts de <279>V. M. et de ses royaumes ne serait jamais compté au rang de mes amis.
Je suis avec la plus haute considération,
Monsieur mon frère,
de Votre Majesté
le bon frère,
Federic.
28. DE MYLORD MARISCHAL.
Valence, 24 mars 1759.
.....311-aVous m'avez fait le plus grand bonheur qu'on peut faire à un homme, en disant que vous répondrez de moi. Je ne vous tromperai pas, Sire, ni le roi d'Angleterre; il peut en être bien sûr. Selon les gazettes, il m'a accordé ma grâce, etc.
29. A MYLORD MARISCHAL.
Landeshut, 11 mai 1759.
Je ne sais pas, mon cher mylord, si jamais je mangerai des melons de vos graines, mais je sais bien que nous avons eu ici, le 24 de mars, dans les montagnes, deux pieds de neige. Cet endroit fait un poste excellent vis-à-vis de l'ennemi, mais, au demeurant, un séjour très-désagréable. Les opérations de mon frère Henri en Bohême ont été aussi heureuses que l'expédition du prince Ferdinand contre les Français a mal tourné. J'ai donné <280>la chasse aux Autrichiens qui s'étaient aventurés légèrement en Haute-Silésie; mais tout cela n'est point décisif, c'est le prélude d'une tragédie, où quelque malheureux périt toujours. Mon frère entame à présent les cercles; je ne sais pas encore quels seront ses succès. S'il réussit, cela deviendra décisif pour la campagne. J'ai trop d'ennemis; cependant, avec un peu de fortune de notre côté et un peu de sottise du leur, on en peut venir à bout. Mais j'ai perdu tous mes amis, mes proches et mes plus intimes connaissances. A l'âge de cinquante ans, on forme difficilement de nouvelles liaisons, et qu'est-ce que la vie sans les agréments de la société? Vos affaires, mon cher mylord, sont arrangées en Angleterre de la façon que vous l'avez désiré, et l'on ne néglige rien pour vos intérêts; j'en ai encore fait écrire à Knyphausen,312-a à Londres. Le roi d'Espagne, auquel je souhaite d'ailleurs tout bien, fait semblant de mourir, et ne meurt pas; s'il était mort tout de suite, il y a quatre mois, sa mort aurait pu opérer une diversion; à présent, on en a pu prévenir les effets. Je n'ai plus de bonheur, beaucoup de jaloux et d'ennemis; c'est à tout prendre une situation abominable; mais j'y suis une fois, et je m'en tirerai ou j'y périrai. Adieu, mon cher mylord; mangez de bons fruits, et, tandis que vous êtes dans un paradis terrestre, n'oubliez pas vos amis qui sont en purgatoire.
30. AU MÊME.
Reich-Hennersdorf, 4 juin 1759.
Je crains bien, mon cher mylord, que vous ne ferez pas grand' chose dans l'endroit où vous vous trouvez. Selon les nouvelles que je reçois, le roi d'Espagne, sans espérance de se remettre, pourra encore traîner longtemps. Le voyage de Lyon est absolument de l'invention de la cour de Versailles, et ne contient rien de réel; le roi de Naples a été très-fâché de la nouvelle qu'on en <281>a débitée. En un mot, je ne compte pas du tout sur les ressources que je pourrais tirer d'Espagne; ou bien je me soutiendrai moi seul, ou je périrai de la belle mort. Je crois que dans peu de jours notre situation se décidera. Cet homme à toque papale313-a sera obligé de prendre un parti, et je ne suppose pas que cela se passe en douceur. Cet événement influera beaucoup pour la campagne, et donnera la supériorité à l'un ou à l'autre parti. Je me flatte de l'avoir; c'est à l'événement à en décider. Adieu, mon cher mylord; je vous embrasse.
31. AU MÊME.
Reitwein, 16 août 1759.
Mylord, j'ai exactement reçu vos deux lettres du 26 de juin et du 7 de juillet, qui me sont entrées à la fois. Comme elles sont toutes deux en chiffre, je ne saurais vous y faire pour le présent aucune réponse, n'ayant pas sur moi votre chiffre; je me réserve donc d'y répondre en son temps. Sur quoi je prie Dieu, etc.
314-aMon cher mylord, la fortune me tourne le dos et ne me seconde plus; c'en est fait.314-b
32. DE MYLORD MARISCHAL.
Sire,
Je prends la liberté d'offrir à Votre Majesté deux livres de tabac, parce qu'il me paraît très-bon; et, si vous voulez entrer en so<282>ciété de commerce de tabac à votre très-fidèle serviteur, et que vous ayez quelque morceau de porcelaine, magot de la Chine ou laque, dont vous ne faites nul cas, j'en aurai du tabac. Il n'y a que de pareilles choses que je puis donner à mes marchands de tabac, qui sont une dame du palais de la reine d'Espagne et son ministre, M. Whal. Le commerce se fera sous mon nom.
33. A MYLORD MARISCHAL.
315-aJe vous suis très-obligé, mon cher mylord, des bonnes graines de melon que vous avez la bonté de m'envoyer. Je ne vous prendrai point votre tabac; je ne suis point d'humeur à détrousser un pauvre voyageur, ni de violer les droits de l'hospitalité. Je ne vous en ai pas une moindre obligation, et je ferai venir des magots de Berlin et de Chine pour votre correspondante.
34. AU MÊME.
Leipzig, 9 mars (1761).
J'ai reçu, mon cher mylord, votre lettre avec bien du plaisir. Je vous vois sur votre départ d'Angleterre et prêt à retourner à Colombier, où des dissensions civiles et des soi-disant schismes vous attendent.315-b Croyez-moi, vous ferez taire vos docteurs plus vite que nous n'accorderons les têtes politiques de l'Europe, quoique, <283>à vous dire vrai, l'éternité des peines m'embarrasse moins que le chaos des prétentions que la cupidité de tant de souverains forme.
Vous saurez comme nous sommes parvenus à chasser les Français de la Hesse. Le prince Ferdinand assiége actuellement Cassel. Veuille le ciel que ces succès accélèrent la paix, dont l'Europe et nous surtout avons grand besoin. Ne vous inquiétez pas tant pour mon tabac, mon cher mylord; cela n'en vaut pas la peine. Celui d'Amsterdam ne m'est pas encore délivré; je crois, pour l'avoir, que je serai obligé d'intenter un procès au marchand qui le retient; mais que cela ne vous inquiète pas.
J'ai été charmé des procédés du roi d'Angleterre à votre égard; je regarde tout le bien qui vous arrive comme si c'était à moi-même qu'il arrivât, et ce n'est qu'une vertu bien pure qui s'attire une amitié pareille. Jouissez-en longtemps, mon cher mylord, et comptez-moi toujours au rang de vos vrais et sincères amis. Adieu.
35. AU MÊME.
Meissen, 11 (avril 1761).
J'apprends, mon cher mylord, que vous êtes sur votre départ de Londres. Je souhaite que les vents vous mènent sans accident en Espagne, et de là à Colombier. L'on propose un congrès; nous autres l'avons accepté. C'est à savoir ce qui en résultera. Je crois que ce sera une paix séparée entre la France et l'Angleterre, et que nous autres guerroierons encore jusqu'à la fin de l'année. Si vous voyez M. Whal, faites-lui, s'il vous plaît, mes compliments. Je ne sais s'il ne conviendrait pas aux Espagnols d'envoyer au congrès tout comme les autres puissances; ils ont des objets importants à discuter avec la maison d'Autriche, et je crois qu'ils y pourraient tenir leur coin. Je me borne à faire des vœux pour vous, mon cher mylord, jusqu'à votre arrivée à Colombier, en vous assurant que, dans toutes les occasions, vous <284>me trouverez disposé à vous servir et à vous donner des marques de la véritable estime que j'ai pour vous. Adieu.
36. AU MÊME.
Breslau, 12 janvier 1762.
Mylord, le contenu de votre lettre du 28 décembre dernier, et ce que vous m'y dites à l'occasion de l'entretien que vous avez eu avec le sieur de Rossières m'est une nouvelle preuve de votre façon de penser pour mon service, et les soins que vous prenez de mes intérêts ne sauraient que vous mériter une reconnaissance sincère de ma part. Je doute presque, par ce que vous m'en dites, de votre prompt retour à Neufchâtel. Le tabac d'Espagne que vous m'avez envoyé vient à la fin de m'arriver. Je le trouve bon par excellence, et vous remercie bien des soins que vous avez bien voulu prendre pour me faire plaisir. Sur ce, je prie Dieu, etc.
317-aJe vous suis obligé, mon cher mylord, de cette amitié qui vous fait penser sans cesse à tout ce qui me regarde. Je vous assure que j'y suis on ne saurait plus sensible. Je ne sais comment vous regagnerez votre gouvernement; je ne me fie point à ces passe-ports de Versailles. Ce n'est pas à présent la mode dans ce pays-là de m'obliger; vous savez que tout est mode en France, et que nous sommes de la vieille et surannée. Nous sommes devenus des collets montés; il faut être à présent Autrichien ou, qui pis est, Russe, pour prendre dans ce pays, et je n'ai pas envie de devenir ni l'un ni l'autre pour plaire à ces gens-là. Je vous remercie de l'admirable tabac que je viens enfin de recevoir. Si la Providence avait autant de soin de mes affaires que vous en avez de mon nez, tout irait bien. Je vous souhaite un heu<285>reux voyage, et je vous assure que mon amitié et mon estime vous accompagnent partout.
37. AU MÊME.
(Breslau) 10 avril 1762.
Mon nez est bien le plus impertinent nez de l'univers, mon cher mylord. Je suis honteux des soins qu'il vous donne; je vous en demande pardon, et je serais plus confus encore, si je ne savais que vous compatissez aux faiblesses de vos amis, et que depuis longtemps vous avez eu une indulgence singulière pour mon nez. Je suis bien aise de vous savoir heureusement de retour dans votre gouvernement; vous y goûterez quelque repos. Pour moi, il y a une grande péripétie dans ma situation. Je me reviens comme un mauvais auteur qui, ayant fait une tragédie embrouillée, a recours à un dieu de machine pour trouver un dénoûment. L'empereur de Russie fait des merveilles, je lui ai les plus grandes obligations. Nous irons loin avec cet homme; il est capable de forcer les obstinés à la paix.318-a Je suis dans des accès de négociation qui, j'espère, me prépareront une bonne campagne. Il faut encore faire celle-ci; j'espère et je crois que ce sera la dernière. Je soupire bien après la paix, mon cher mylord; ballotté par la fortune, vieux et décrépit comme je le suis, il n'y a plus qu'à cultiver mon jardin. Adieu, mon cher et vieil ami; je me flatte toujours de vous revoir encore un jour, si je vis, et que la paix se fasse. Je vous embrasse de tout mon cœur.
<286>38. AU MÊME.
Breslau, 21 avril 1762.
Je voudrais être le favori des Muses et de Neptune, mon cher mylord, pour vous assister lorsque vous avez besoin de vent ou de vers; mais je ne suis favori de personne, et, de plus, persécuté par tous les disciples que Machiavel a engendrés en Europe, je n'ai pour moi que Dieu, ma juste cause et l'empereur de Russie. Vous peignez si bien l'opiniâtreté femelle, que Raphaël n'ajouterait rien au tableau; dans le cas dont il s'agit, il y a beaucoup d'ambition, un désir immodéré de dominer, et une haine aussi franche qu'il y en ait jamais eu. Une femme agitée par ces passions, et qui a une armée, fait la guerre jusqu'à l'épuisement. Notre campagne commencera plus tôt qu'on ne l'avait cru; je ne suis point prophète, de sorte que je suis réduit d'attendre les événements pour juger de quel côté la fortune se déclarera. J'admire que M. Chavigni319-a s'amuse à troubler votre petit théâtre; cela ne peut provenir que d'un fonds d'inquiétude extrême, car je n'y vois aucun but. Dans cette subversion de l'Europe, il faut bien qu'on sente quelque secousse à Neufchâtel du grand mouvement qui fait trembler toute la masse que nous habitons. Je ne sais ni quand ni comment nous aurons la paix; il n'y a pas apparence qu'elle soit générale cette année. Elle me fuit comme Daphné devant Apollon. Tout mon argent s'en va en chevaux, en armes, en magasins, et il ne me reste rien pour des pendules. Ainsi, mon cher mylord, je vous remercie de la peine que vous vouliez prendre d'en commander. Vous me réjouissez par l'espérance que vous me donnez de vous revoir un jour; cette idée entre si agréablement en mon esprit, que je l'y laisse s'établir, quoique l'époque de vous embrasser ne me paraisse pas aussi proche. Adieu, mon cher mylord; je vous remercie des graines de melon; prenez de la tranquillité à Colombier, et soyez assuré que, en quelque lieu que vous vous transportiez, mon amitié et mon estime vous suivront partout.
<287>39. AU MÊME.
Breslau, 14 mai 1762.
Votre lettre m'a été bien rendue, mon cher mylord. Je vois que vous continuez d'être mécontent de vos Neufchâtelois; si vous ne voulez plus les gouverner, il faudra les abandonner à leur turpitude, et vous en agirez comme vous le voudrez. Pour moi, je suis si accablé d'affaires, que je laisserai vos Suisses disputer sur l'éternité des peines, sans m'embarrasser de l'opinion la plus orthodoxe ou la plus philosophique. Vous faites trop d'honneur à moi, indigne, de me croire inspiré par Pallas; je voudrais fort l'être, mais je crois que je finirai par les Petites-Maisons, vu l'espèce de conspiration qu'ont tramée les princes et les rois pour me faire tourner la tête. Il n'y a que mon divin empereur de Russie dont je ne cesserai de publier les louanges tant que je vivrai. Je crois que le ciel l'a fait naître pour prouver au monde que la vertu est très-compatible avec les qualités du trône. Il n'en est pas de même de vos compatriotes, mon cher mylord; il faudrait un Astolphe pour chercher de certaines fioles que je soupçonne fort que saint Jean leur garde dans la lune.320-a Voilà la saison des opérations qui va commencer, et je me tiens ici comme un sot; mais ne va pas à Corinthe qui veut.320-b Les affaires politiques et militaires sont à présent dans un étrange chaos; il faut quelque dieu de machine pour débrouiller tout cela. Le ciel nous assiste! Je vous prie de redoubler vos souhaits pour nous; si les vœux des honnêtes gens sont favorablement reçus des dieux, les vôtres doivent être efficaces. Adieu, mon cher mylord; j'ai la tête surchargée, je ne vous écrirais que des pauvretés, si je continuais. Continuez-moi votre amitié, et soyez persuadé de la mienne.
<288>40. AU MÊME.
Dittmannsdorf, 29 juillet 1762.
Donnons, mon cher mylord, asile au malheureux. Ce Rousseau321-a est un garçon singulier, philosophe cynique qui n'a que la besace pour tout bien. Il faut l'empêcher, tant que cela se pourra, d'écrire, parce qu'il traite des matières scabreuses qui exciteraient des sensations trop vives dans vos têtes neufchâteloises, et occasionneraient des clameurs de tous vos prêtres enclins à la dispute et pleins de fanatisme. Je me trouve ici vis-à-vis du maréchal Daun, de ses canons et de ses montagnes. On l'a presque arraché d'auprès de Schweidnitz, dont nous nous préparons à faire le siége. J'ai eu ici pendant quinze jours une vingtaine de mille Russes; je n'ai fait que passer, ils n'y étaient déjà plus.321-b Toute leur armée retourne en Russie, et nous restons bons amis, aux secours près, que je perds.321-c Le prince Ferdinand fait des merveilles; les Français vont abandonner la Hesse et Göttingue. Quelle suite de prospérités pour les Anglais sur mer et par terre! Il ne leur faut qu'un ministre habile pour profiter, à la paix, de la situation brillante où les ont mis leurs armes.
Adieu, mon cher mylord; mon nez est plein de reconnaissance du tabac dont vous avez la bonté de le fournir. Je ne vous dis rien de moi; vous savez que je suis votre ami à toute épreuve.
41. AU MÊME.
Péterswaldau, 1er septembre 1762.
Votre lettre, mon cher mylord, au sujet de Rousseau de Genève m'a fait beaucoup de plaisir. Je vois que nous pensons de même; <289>il faut soulager ce pauvre malheureux, qui ne pèche que par avoir des opinions singulières, mais qu'il croit bonnes. Je vous ferai remettre cent écus, dont vous aurez la bonté de lui faire donner ce qu'il lui faut pour ses besoins. Je crois, en lui donnant les choses en nature, qu'il les acceptera plutôt que de l'argent. Si nous n'avions pas la guerre, si nous n'étions pas ruinés, je lui ferais bâtir un ermitage avec un jardin, où il pourrait vivre comme il croit qu'ont vécu nos premiers pères. J'avoue que mes idées sont aussi différentes des siennes qu'est le fini de l'infini; il ne me persuaderait jamais à brouter l'herbe et à marcher à quatre pattes. Il est vrai que tout ce luxe asiatique, ce raffinement de bonne chère, de volupté et de mollesse, n'est point essentiel à notre conservation, et que nous pourrions vivre avec plus de simplicité et de frugalité que nous ne le faisons; mais pourquoi renoncer aux agréments de la vie, quand on en peut jouir? La véritable philosophie, ce me semble, est celle qui, sans interdire l'usage, se contente à condamner l'abus; il faut savoir se passer de tout, mais ne renoncer à rien. Je vous avoue que bien des philosophes modernes me déplaisent par les paradoxes qu'ils annoncent. Ils veulent dire des vérités neuves, et ils débitent des erreurs qui choquent le bon sens. Je m'en tiens à Locke, à mon ami Lucrèce, à mon bon empereur Marc-Aurèle; ces gens nous ont dit tout ce que nous pouvons savoir, à la physique d'Épicure près, et tout ce qui peut nous rendre modérés, bons et sages. Après cela, il est plaisant qu'on nous débite que nous sommes tous égaux, et que par conséquent nous devons vivre comme des sauvages, sans lois, sans société et sans police, que les beaux-arts ont nui aux mœurs,323-a et autres paradoxes aussi peu soutenables. Je crois que votre Rousseau a manqué sa vocation; il était sans doute né pour devenir un fameux cénobite, un Père du désert, célèbre par ses austérités et ses macérations, un Stylite. Il aurait fait des miracles, il serait devenu un saint, et il aurait grossi l'énorme catalogue du Martyrologe; mais à présent il ne sera regardé qu'en qualité de philosophe singulier, qui ressuscite après deux mille ans la secte de Diogène. Ce n'est pas la peine de brouter l'herbe, ni de se brouiller avec tous les philosophes ses con<290>temporains. Défunt Maupertuis m'a conté de lui un trait qui le caractérise bien. A son premier voyage de France, Rousseau subsistait à Paris de ce qu'il gagnait à copier de la musique. Le duc d'Orléans apprit qu'il était pauvre et malheureux, et lui donna quelque musique à transcrire pour avoir occasion de lui faire quelque libéralité. Il lui envoya cinquante louis; Rousseau en prit cinq, et rendit le reste, qu'il ne voulut jamais accepter, quoiqu'on l'en pressât, disant que son ouvrage ne valait pas davantage, et que le duc d'Orléans pouvait mieux employer cette somme en la donnant à des gens plus pauvres et plus paresseux que lui. Ce grand désintéressement est sans contredit le fond essentiel de la vertu; ainsi je juge que votre sauvage a les mœurs aussi pures que l'esprit inconséquent.
Je passe de votre sauvage philosophe à des sauvages en habit blanc qui ont moins de mœurs que lui, contre lesquels nous nous battons journellement, mais qui cependant, jusqu'à présent, ne nous écrasent pas encore. Nous faisons le siége de Schweidnitz à leur barbe; ils ont voulu s'y opposer, mais la fortune s'est déclarée pour le prince de Bevern et pour nous.324-a La place est aux abois, la garnison a voulu capituler; ce sont dix mille hommes toujours bons à prendre. Si je les laissais sortir, ils se percheraient sur de si hautes montagnes, que dans dix ans je ne les y prendrais pas; mais avec un peu de patience nous les aurons. Voilà, mon cher mylord, un abrégé de notre campagne, et, je crois, autant qu'il vous en faut pour contenter votre curiosité. Il y a beaucoup d'apparence que cette campagne sera la dernière de cette malheureuse guerre. Je reprends l'espérance de vous revoir encore, et c'est une des idées qui me réjouissent le plus; je ne vous le dissimule point, mon cher mylord, j'aime votre excellent caractère, et je crois retrouver encore en vous une partie de ce que j'ai perdu et que je regrette. Adieu, mon cher mylord. Si Rousseau ne trouve point de philosophe digne de sa confiance, je me flatte au moins que vous comptez sur mon amitié, qui ne se démentira jamais.
<291>42. AU MÊME.
Meissen, 26 novembre 1762.
J'ai reçu, mon cher mylord, votre lettre et celle du philosophe sauvage. Il faut avouer que l'on ne saurait pousser le désintéressement plus loin qu'il le fait; c'est un grand pas à la vertu, si ce n'est la vertu même. Il veut que je fasse la paix; le bonhomme ne sait pas la difficulté qu'il y a d'y parvenir, et, s'il connaissait les politiques avec lesquels j'ai affaire, il les trouverait bien autrement intraitables que les philosophes avec lesquels il s'est brouillé.
Nous allons entrer dans les quartiers d'hiver; la campagne est heureusement écoulée.
Vous me demandez mon portrait; je ne sais, mon cher mylord, s'il en existe. Je vous envoie une figure plus aimable que la mienne, et qui vous fera plus de plaisir; il est bien juste que je donne une tabatière à celui qui m'a tant fourni de tabac. Vos Anglais me donnent bien de la tablature, et votre cher compatriote Bute325-a est un singulier seigneur. Adieu, mon cher mylord; comptez toujours sur mon amitié, car mon cœur est tout à vous.
43. AU MÊME.
Leipzig, 28 janvier 1763.
Votre lettre, mon cher mylord, m'a trouvé au milieu des agitations les plus vives. Nous sommes sur le point de faire la paix; la négociation se pousse avec vigueur; je ne veux être ni dupe, ni fripon, et faire la meilleure paix que comportent les conjonctures où je me trouve. Voilà bien des soins et des embarras; toutefois je les préfère à ceux qu'exige l'ouverture d'une nouvelle campagne, trop heureux, après sept actes, de trouver la fin d'une mauvaise pièce dont j'ai été acteur malgré moi. Voilà un dénoû<292>ment auquel on ne se serait pas attendu il y a un an. Je ne sais s'il sera du goût de votre compatriote, qui, me semble, se prépare à lui un dénoûment plus funeste par la façon despotique dont il exerce sa puissance sur une nation libre. Mais laissons-le agir, et revenons-en à ce qui nous regarde. Je me flatte donc, mon vieil ami, mon cher mylord, que la paix me procurera la consolation de vous revoir; je crois que nous signerons le mois prochain, et que cette grande affaire se terminera heureusement. Représentez-vous un homme qui a longtemps été battu par la tempête sur mer, et qui aperçoit enfin la terre où il va aborder. Voilà précisément mon cas; je me réjouis si fort de cet heureux aspect, que quelquefois je le révoque en doute; mais, grâce au ciel, il y a trop de réalité pour ne rien craindre à l'avenir. J'espère d'être au mois d'avril de retour auprès de mes pénates et de mes foyers domestiques, et veuille le destin que je ne les quitte jamais pour une raison semblable! Enfin, mon cher mylord, voilà un grand hasard d'esquivé, et le repos, dont tout le monde avait tant de besoin, sur le point de se rétablir dans toute l'Europe. Je suis bien persuadé que vous participez à ma joie, et que vous la partagez avec moi. Adieu, mon cher mylord; je vous écrirai dès que je serai déchargé de la grosse besogne qui m'occupe à présent, et que mon travail commencera à s'alléger. Occupé ou désœuvré, je serai toujours le même pour vous, c'est-à-dire, votre fidèle ami; je me flatte que vous en êtes bien persuadé.
44. AU MÊME.
(Potsdam) ce 24 (avril 1763).
J'ai trouvé ici à mon arrivée, mon cher mylord, de l'occupation pour six mois, et de l'ouvrage qui est dur, pénible et désagréable. Cependant il faut y passer. Vous me faites espérer de vous voir, ce qui me fait un sensible plaisir. Je reconnais ici toutes les murailles de ma patrie, mais je n'y retrouve plus mes connaissances; <293>vous ferez donc ici ma consolation. Je comprends que les hirondelles annonceront votre venue, et que le soleil, plus vigoureux qu'il n'est à présent, vous accompagnera. Voudriez-vous bien, avant votre départ, écrire à Rome? Je voudrais pouvoir engager Battoni à venir ici en service;327-a mais il faut savoir ce qu'il demande, et s'il est raisonnable. Adieu, mon cher mylord; les affaires m'interrompent, et j'en ai à tout moment de nouvelles; soyez persuadé que personne ne vous aime ni ne vous estime plus que moi.
45. DE MYLORD MARISCHAL.
Londres, 14 août 1763.
Sire,
Je suis arrivé ici après un voyage incommode et même difficile par les pluies. Cela est passé, mais je m'afflige à penser aux mêmes difficultés encore; car, quoique je n'aie pas osé répondre à votre bonté à me dire de revenir, vu mon âge avancé, je ne renonce pas à cette douce espérance. J'ai le cœur rempli de reconnaissance de vos bienfaits, et serai toute ma vie avec le plus profond respect, Sire, etc.
Permettez que je remercie très-humblement V. M. de sa bonté envers une honnête Musulmane327-b que moi, indigne, ai tirée des griffes de Satanas.
<294>46. A MYLORD MARISCHAL.
Sans-Souci, 4 septembre 1762 (1763).328-a
Je suis bien aise, mon cher mylord, de vous savoir heureusement arrivé à Londres; je souhaite que vous arriviez de même dans vos montagnes, et que vous y trouviez tous les agréments que vous méritez si bien. On dit que Jean-Jacques ne vous suivra pas, de sorte que vos Écossais ne verront point le sauvage helvétique; ils n'en seront pas fort à plaindre, et M. Hume vous dédommagera au centuple de ce que vous pourriez perdre à la société de Jean-Jacques. M. d'Alembert est parti; il va entreprendre un grand voyage. Il veut parcourir les beautés de l'Italie ancienne et moderne; je serais bien de la partie, si la chèvre n'était obligée de brouter où elle est attachée. Adieu, mon cher mylord; l'espérance que vous me donnez de vous revoir me console de votre absence, et je me flatte encore qu'avant de mourir j'aurai le plaisir de vous embrasser.
47. AU MÊME.
Sans-Souci, 16 février 1764.
Mon cher mylord,
Je commence ma lettre par vous dire, mon cher mylord, que le temps est si doux et si serein dans cette contrée, que je passe mes jours à la campagne. C'est à Sans-Souci, où j'ai reçu votre lettre. <295>Je ne m'étonne point que les Écossais se battent pour vous conserver chez eux, qu'ils veuillent avoir de votre race et conserver vos ossements. Vous avez de votre vivant le sort qu'Homère eut après sa mort; plusieurs villes se disputèrent l'honneur d'être sa patrie; je le disputerais bien avec les habitants d'Édimbourg pour vous posséder. Si j'avais des vaisseaux, je méditerais une descente en Écosse pour en enlever mon cher mylord et pour l'amener ici. Mais nos barques de l'Elbe sont peu propres à une pareille expédition, et mon imagination se met en frais inutiles pour inventer le projet de votre enlèvement. Il n'y a que sur vous que je puisse compter; je souhaite que le temps soit assez rude dans vos montagnes pour vous faire désirer un ciel plus tempéré. Vous me donnez des espérances que je saisis avidement. J'ai été l'ami de votre défunt frère, je lui avais des obligations; je suis le vôtre de cœur et d'âme. Voilà mes titres, voilà les droits que j'ai sur vous. On ne vous forcera point ici à faire l'étalon; vous n'aurez ni prêtres ni procureurs à redouter; vous vivrez ici dans le sein de l'amitié, de la liberté et de la philosophie. Il n'y a que cela dans le monde, mon cher mylord; quand on a passé par toutes les métamorphoses des états, quand on a goûté de tout, on en revient là. Je travaille ici à écrire mes sottises politiques et guerrières;329-a je lis les Géorgiques de Virgile le soir, au coin de mon feu, et le matin je fais donner au diable mon jardinier, qui dit que Virgile et moi nous n'avons pas le sens commun, et que nous n'entendons rien à son métier. Pour moi, je suis honteux que mon érudition soit si peu prisée, et le lendemain c'est à recommencer. Voilà, mon cher mylord, un récit fidèle de la vie que je mène dans ma retraite.
J'ai ici deux de mes neveux de Brunswic330-a qui promettent beaucoup, et qui ont trouvé l'art de réunir, à leur âge, la vivacité de la jeunesse avec la sagesse des vieillards. Ils sont remplis de connaissances, et ils ont un désir ardent de s'instruire sur tout ce qui est digne d'être appris. Je finis ma lettre en vous appre<296>nant, mon cher mylord, que mon chèvrefeuille est sorti, que mon sureau va débourgeonner, et que les oies sauvages sont déjà de retour. Si je savais quelque chose de plus capable de vous attirer, je le dirais également; car je n'ai pas la présomption que ce peut être l'amitié et l'estime avec laquelle je suis, mon cher mylord, etc.
48. AU MÊME.
Berlin, 7 avril 1764.
J'ai reçu, mon cher mylord, votre lettre à mon retour de Silésie, où j'ai été panser les plaies que la guerre avait faites à cette province. Je suis charmé de l'espérance que vous me donnez de nous revoir; j'ai toujours espéré que cette consolation me resterait encore. Votre graine de fraises est très-bien arrivée; mon jardinier l'a, et j'espère que je pourrai vous en offrir dans mon jardin. Ces Mémoires dont vous parlez, et que je viens d'achever, me convainquent de plus en plus qu'écrire l'histoire est compiler les sottises des hommes et les coups du hasard. Tout roule sur ces deux articles, et voilà comme le monde va depuis l'éternité. Nous sommes une pauvre espèce qui se donne bien du mouvement pendant le peu de temps qu'elle végète sur ce petit atome de boue qu'on nomme le monde. Quiconque coule ses jours dans la tranquillité et le repos, jusqu'à ce que sa machine se décompose, est peut-être plus sensé que ceux qui, par tant de circuits tortueux et hérissés d'épines, descendent au tombeau. Malgré cela, je suis obligé de tourner comme la roue d'un moulin que l'eau pousse, parce qu'on est entraîné par son destin, et qu'on n'est pas maître de faire ou de laisser ce que l'on veut.
Le beau temps vient d'arriver; je vais me sauver dans mon jardin pour examiner à mon aise les progrès du printemps, voir éclore et fleurir, et, pour me servir d'une expression de Fontenelle, je prendrai la nature sur le fait, in flagranti.
<297>Adieu, mon cher mylord; portez-vous toujours bien, n'oubliez pas les absents, et soyez persuadé que je suis le meilleur et le plus fidèle de vos amis.
49. AU MÊME.
Ce 3 (1764).
Je pensais et je devais présumer, mon cher mylord, que vous seriez persuadé d'être toujours bien reçu ici; mais, comme vous voulez qu'on vous le dise, je le répète, et vous assure qu'en hiver, en été, de nuit ou de jour, dans toutes les saisons, tous les temps et toutes les heures, vous serez reçu ici à bras ouverts par votre fidèle ami.
50. DE MYLORD MARISCHAL.
(1778?)
Lord Marischal se met aux pieds de Sa Majesté, la remercie de sa bonté de s'informer de sa santé. Sa vue s'est affaiblie depuis quelques jours, ses jambes ne valent rien, ni sa tête, ni la mémoire; sourd par-dessus le marché, il est un très-mauvais convive à table. Mais si V. M. fait un repas à l'ancienne égyptienne, j'y trouverai place très-dignement.332-a
287-a Voyez ci-dessus, p. 57.
288-a Titre que l'on donne à Neufchâtel à la compagnie des pasteurs, autorité ecclésiastique supérieure.
289-a Voyez t. IX, p. 32.
289-b Abolie en Prusse le 20 juin 1746.
289-c C'est à Lyon que Voltaire alla rendre ses devoirs à la margrave de Baireuth, au mois de novembre 1754. Voyez ci-dessus, p. 62.
290-a Veuve du baron de Keyserlingk (Césarion), colonel et adjudant général du Roi; elle était morte le 15 février.
290-b Peut-être Goryn, ou Goring.
291-a Allusion au traité signé à Londres le 16 janvier 1756, et à l'arrivée du duc de Nivernois à Berlin, le 12 du même mois. Voyez t. IV, p. 36 et 37.
291-b Le 29 octobre 1755, Voltaire avait écrit à l'abbé de Prades, dans une lettre destinée à être communiquée au Roi : « J'ai un petit monastère auprès de Lausanne, sur le chemin de Neuf-+ châtel, et, si ma santé me l'avait permis, j'aurais été jusqu'à Neufchâtel pour voir mylord Marischal; mais j'aurais voulu pour cela des lettres d'obédience. »
292-a Voyez t. XIX, p. 48.
295-a Voyez t. IV, p. 16-18, t. VI, p. 10, et t. XVIII, p. 127.
295-b Le Roi veut dire le Jugement de Tirésias.
295-c Apollon poursuivant Daphné.
295-d Le pendant du tableau du chevalier Placido Costanzi, peint par le chevalier Pompeo Battoni, représente les Noces de Psyché. Voyez la Description de tout l'intérieur des deux palais de Sans-Souci, de ceux de Potsdam et de Charlottenbourg, par Matthieu Oesterreich. Potsdam, 1773, in-4, p. 41.
297-a Le Roi partit le 15.
298-a Voyez t. IV, p. 10, et t. XIV, p. 286.
298-b Les lignes qui terminent cette pièce sont citées dans l'Éloge du roi de Prusse (par le marquis de Guibert), Londres, 1787, p. 151, comme faisant partie d'une lettre adressée à Voltaire.
299-a La bataille de Rossbach, gagnée le 5 novembre. Voyez t. IV, p. 172.
299-b Voyez t. XIX, p. 119.
301-a Auguste-Guillaume, Prince de Prusse, mort à Oranienbourg le 12 juin 1758.
302-a La bataille de Zorndorf.
302-b Voyez t. IV, p. 236 et 237.
303-a Voyez t. XIX, p. 418.
303-b Maupertuis mourut à Bâle le 27 juillet 1759. Voyez t. XVII, p. VIII et IX.
304-a De la main de M. de Catt, à qui Frédéric avait adressé, le 15 octobre 1758, le billet suivant, que nous tirons des Mémoires (manuscrits) de ce lecteur du Roi : « Écrivez une lettre bien touchante au pauvre mylord Marischal sur la mort de son frère. Je perds là une bonne tête. Que dira mylord Marischal? J'entre d'avance dans ses inquiétudes. »
304-b Le feld-maréchal Keith, tué d'un coup de feu à la bataille de Hochkirch, le 14 octobre, était né le 11 juin 1696, au château d'Inverugie, près de Peterhead, en Écosse. Voyez t. II, p. 25; t. IV, p. 6, 240-242; t. X, p. 226; et t. XII, p. 108-116.
304-c Le 14 octobre. Voyez t. IV, p. 252 et 253.
304-d De la main du Roi.
306-a Boileau, Épître VII, A M. Racine, v. 52. Le cardinal de Richelieu s'efforça de faire tomber le Cid, de Corneille, représenté pour la première fois en 1636, et ce poëte donna en 1640 sa tragédie de Cinna, son chef-d'œuvre.
307-a Le Roi arriva à Breslau le 14.
308-a Conseiller intime de Cabinet.
308-b Envoyé de la Grande-Bretagne à la cour de Frédéric. Voyez t. XII, p. 224.
309-a Voyez Varnhagen d'Ense, Leben des Feldmarschalls Jakob Keith, Berlin, 1844, p. 263.
310-a Voyez t. IV, p. 38, 255 et 256; t. X, p. 123; t. XIX, p. 21 et 25; et ci-dessus, p. 303.
311-a Ce fragment répond à la lettre précédente, que Frédéric avait communiquée à mylord Marischal.
312-a Envoyé de Prusse.
313-a Le feld-maréchal Daun. Voyez t. IV, p. 253-255, et t. XV, p. X, XI, 132 et 133, 134 et 135, 136-138, etc.
314-a De la main du Roi.
314-b Voyez t. V, p. 22.
315-a Cette réponse se trouve, dans le manuscrit, sur la même feuille que la lettre précédente.
315-b Au mois d'avril 1758, le pasteur de la Sagne, nommé Prince, appuyé par son consistoire, se plaignit à la Classe de Neufchâtel de ce que M. Petitpierre, pasteur de la Chaux-de-Fonds, prêchait la doctrine de la non-éternité des peines. Le Roi voulut en vain conserver ce dernier; il fut destitué.
317-a De la main du Roi.
318-a Voyez t. XIX, p. 358.
319-a Théodore de Chavigni, diplomate français. Il mourut à Paris en 1771.
320-a Voyez le Roland furieux de l'Arioste, chant XXXIV, stances 82-87.
320-b Voyez Horace, Épîtres, liv. I, ép. 17, v. 36.
321-a Voyez t. IX, p. 224 et 246; et t. XVIII, p. 249.
321-b Voyez t. XII, p. 214.
321-c Voyez t. XIX, p. 375.
323-a Voyez t. IX, p. x, et 195-207.
324-a Le 16 août. Voyez t. V, p. 225.
325-a Voyez t. V, p. 173 et suivantes.
327-a Voyez ci-dessus, p. 295. Frédéric voulait faire venir Battoni pour remplacer Antoine Pesne, mort le 5 août 1757. Voyez t. XIV, p. IV, V, et 34-37.
327-b Mylord Marischal parle ici d'Émété (Emetullah), fille d'un capitaine de janissaires. Elle avait été retirée, encore enfant, des ruines d'Oczakow à la prise de cette ville par les Russes, en 1737, et le général Keith, frère de lord Marischal. la lui avait donnée. Voyez d'Alembert. Éloge de milord Maréchal, p. 63 et 64.
328-a Le Roi a en effet écrit 1762; mais il faut lire 1763, parce qu'en septembre 1762 il était encore en campagne (à Péterswaldau). Ce fut d'ailleurs le 22 juin 1763 que d'Alembert vint à Potsdam rendre ses devoirs au Roi, et le 15 août de la même année qu'il demanda la permission de retourner chez lui. C'est précisément pendant cette visite de d'Alembert et en sa présence que mylord Marischal prit congé du Roi, dans l'intention d'aller s'établir définitivement en Écosse; cependant il changea bientôt d'idée, et revint à Sans-Souci. Voyez l'Éloge de milord Maréchal, par d'Alembert, p. 47.
329-a Voyez t. IV, p. II.
330-a Les princes Frédéric et Guillaume. Voyez, t. XIII, p. 6-9, l'Épître que Frédéric a adressée à ces deux jeunes princes.
332-a Voyez Hérodote, livre II, ch. 78.