<103>vous avez le sentiment intérieur que vous êtes libre, cela ne prouverait rien encore; car notre sentiment nous trompe sur notre liberté, de même que nos yeux nous trompent sur la grandeur du soleil, lorsqu'ils nous font juger que le disque de cet astre est environ large de deux pieds, quoique son diamètre soit réellement à celui de la terre comme cent est à un.

Voici, je crois, ce qu'on peut répondre à cette objection. Les deux cas que vous comparez sont fort différents. Je ne puis et ne dois voir les objets qu'en raison directe de leur grosseur, et en raison renversée du carré de leur éloignement. Telles sont les lois mathématiques de l'optique, et telle est la nature de nos organes, que, si ma vue pouvait apercevoir la grandeur réelle du soleil, je ne pourrais voir aucun objet sur la terre, et cette vue, loin de m'être utile, me serait nuisible. Il en est de même des sens de l'ouïe et de l'odorat. Je n'ai et ne puis avoir ces sensations plus ou moins fortes (toutes choses d'ailleurs égales) que suivant que les corps sonores ou odoriférants sont plus ou moins près de moi. Ainsi Dieu ne m'a point trompé en me faisant voir ce qui est éloigné de moi d'une grandeur proportionnée à sa distance. Mais si je croyais être libre, et que je ne le fusse point, il faudrait que Dieu m'eût créé exprès pour me tromper; car nos actions nous paraissent libres, précisément de la même manière qu'elles nous le paraîtraient, si nous l'étions véritablement.

Il ne reste donc à ceux qui soutiennent la négative qu'une simple possibilité que nous soyons faits de manière que nous soyons toujours invinciblement trompés sur notre liberté; encore cette possibilité n'est-elle fondée que sur une absurdité, puisqu'il ne résulterait de cette illusion perpétuelle que Dieu nous ferait, qu'une façon d'agir, dans l'Être suprême, indigne de sa sagesse infinie.

Qu'on ne dise pas qu'il est indigne d'un philosophe de recourir ici à ce Dieu; car, ce Dieu étant une fois prouvé, comme il l'est invinciblement, il est certain qu'il est l'auteur de ma liberté, si je suis libre, et qu'il est l'auteur de mon erreur, si, ayant fait de moi un être purement passif, il m'a donné le sentiment irrésistible d'une liberté qu'il m'a refusée.

Ce sentiment intérieur que nous avons de notre liberté est si