<124>être un royaume; mais votre devoir est de rendre un jour les Prussiens heureux. Ah! qu'on leur porte envie!
Vous m'ordonnez, monseigneur, de vous présenter quelques règles pour discerner les mots de la langue française qui appartiennent à la prose, de ceux qui sont consacrés à la poésie. Il serait à souhaiter qu'il y eût sur cela des règles; mais à peine en avons-nous pour notre langue. Il me semble que les langues s'établissent comme les lois. De nouveaux besoins, dont on ne s'est aperçu que petit à petit, ont donné naissance à bien des lois qui paraissent se contredire. Il semble que les hommes aient voulu se contredirea et parler au hasard. Cependant, pour mettre quelque ordre dans cette matière, je distinguerai les idées, les tours et les mots poétiques.
Une idée poétique, c'est, comme le sait V. A. R., une image brillante substituée à l'idée naturelle de la chose dont on veut parler; par exemple, je dirai en prose : Il y a dans le monde un jeune prince vertueux et plein de talents, qui déteste l'envie et le fanatisme. Je dirai en vers :
O Minerve! ô divine Astrée!
Par vous sa jeunesse inspirée
Suivit les arts et les vertus.
L'Envie au cœur faux, à l'œil louche,
Et le Fanatisme farouche,
Sous ses pieds tombent abattus.
Un tour poétique, c'est une inversion que la prose n'admet point. Je ne dirai point en prose : D'un maître efféminé corrupteurs politiques,b mais corrupteurs politiques d'un prince efféminé. Je ne dirai point :
Tel, et moins généreux, aux rivages d'Épire,
Lorsque de l'univers il disputait l'empire,
Confiant, sur les eaux, aux aquilons mutins
Le destin de la terre et celui des Romains,
Défiant à la fois et Pompée, et Neptune,
César à la tempête opposait sa fortune,c
a Se conduire. (Variante de l'édition de Kehl, t. LXIV, p. 173.)
b La Henriade, chant I, v. 37.
c L. c., v. 177-182.