<131>sans les lois qui répriment le vice, chaque individu s'abandonnerait à l'instinct de la nature, et ne penserait qu'à soi. Pour réunir tous ces intérêts particuliers, il fallait trouver un tempérament pour les contenter tous; et l'on convint que l'on ne se déroberait point réciproquement son bien, qu'on n'attenterait point à la vie de ses semblables, et qu'on se prêterait mutuellement à tout ce qui pourrait contribuer au bien commun.
Il y a des mortels heureux, de ces âmes bien nées qui aiment la vertu pour l'amour d'elle-même; leur cœur est sensible au plaisir qu'il y a de bien faire. Il vous importe peu de savoir que l'intérêt ou le bien de la société demandent que vous soyez vertueux. Le Créateur vous a heureusement formé de façon que votre cœur n'est point accessible aux vices; et ce Créateur se sert de vous comme d'un organe, comme d'un instrument, comme d'un ministre, pour rendre la vertu plus respectable et plus aimable au genre humain. Vous avez voué votre plume à la vertu, et il faut avouer que c'est le plus grand présent qui lui ait jamais été fait. Les temples que les Romains lui consacrèrent sous divers titres servaient à l'honorer; mais vous lui faites des disciples. Vous travaillez à lui former des sujets, et donnez un exemple, par votre vie, de ce que l'humanité a de plus louable.
J'attends la Philosophie de Newton et l'Histoire de Louis XIV, qui, avec Césarion, me viendront le 16 de janvier.a La goutte, la fièvre et l'amour ont empêché mon petit ambassadeur de me joindre plus tôt. Il ne faut qu'un de ces maux pour déranger furieusement la liberté de notre volonté. Je ne manquerai pas de vous dire mon sentiment, avec toute la franchise possible, sur les ouvrages que vous avez bien voulu m'envoyer; c'est la marque la plus manifeste que je puisse vous donner de l'estime que j'ai pour vous. Si je vous expose mes doutes, ce n'est point par arrogance, ce n'est point non plus que j'aie une haute opinion de mon habileté; mais c'est pour découvrir la vérité. Mes doutes sont des interrogations, afin d'être plus foncièrement instruit, et pour éviter tous les obstacles qui pourraient se
a Qui, avec Césarion, me joindront le 15 de janvier. (Variante des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 334.)