<149>vous serait pas désagréable de recevoir quelques pièces de musique de ma façon. Ayez donc la bonté de me marquer combien de personnes vous avez pour l'exécution, afin que, sachant leur nombre et en quoi consistent leurs talents, je puisse vous envoyer des pièces propres à leur usage. Je vous enverrais la Le Couvreur en cantate :...... Quoi! ces lèvres charmantes, etc.;amais je crains de réveiller en vous le souvenir d'un bonheur qui n'est plus. Il faut, au contraire, arracher l'esprit de dessus des objets lugubres. Notre vie est trop courte pour nous abandonner au chagrin. A peine avons-nous le temps de nous réjouir. Aussi ne vous enverrai-je que de la musique joyeuse.
L'indiscret Thieriot a trompeté dans les quatre parties du monde que j'avais adressé une lettre en vers à madame de La Popelinière. Si ces vers avaient été passables, ma vanité n'aurait pas manqué de vous en importuner au plus vite; mais la vérité est qu'ils ne valent rien. Je me suis bien repenti de leur avoir fait voir le jour.
Je voudrais bien pouvoir vivre dans un climat tempéré. Je voudrais bien pouvoir mériter d'avoir des amis tels que vous, d'être estimé des gens de bien; je renoncerais volontiers à ce qui fait l'objet principal de la cupidité et de l'ambition des hommes; mais je sens trop que, si je n'étais pas prince, je serais bien peu de chose. Votre mérite vous suffit pour être estimé, pour être envié, et pour vous attirer des admirations. Pour moi, il me faut des titres, des armoiries et des revenus, pour attirer sur moi le regard des hommes.
Ah! mon cher ami, que vous avez raison d'être satisfait de votre sort! Un grand prince, étant au moment de tomber entre les mains de ses ennemis, vit ses courtisans en pleurs, et qui se désespéraient autour de lui; il dit ce peu de paroles qui enferment un grand sens : « Je sens à vos larmes que je suis encore roi. »a
a Voyez la pièce intitulée La Mort de mademoiselle Le Couvreur, dans les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot. t. XII, p. 29-31.
a Frédéric rappelle probablement les paroles que Darius, vaincu et poursuivi par Alexandre, adressa à ses amis : « Fides vestra et constantia, ut regem me esse credam, facit. » Voyez Quinte-Curce, livre V, ch. 8.