<285>Citoyen sur le trône, et l'exemple du Nord,
Sois mon plus cher appui, sois mon plus grand support;
Laisse les autres rois, ces faux dieux de la terre,
Porter de toutes parts ou la fraude ou la guerre;
De leurs fausses vertus laisse-les s'honorer;
Ils désolent le monde, et tu dois l'éclairer.b

Je demande en grâce à V. A. R., je lui demande à genoux de souffrir que ces vers soient imprimés dans la belle édition qu'elle ordonne qu'on fasse de la Henriade. Pourquoi me défendrait-elle, à moi, qui n'écris que pour la vérité, de dire celle qui m'est la plus précieuse?

Je compte envoyer à V. A. R. de quoi l'amuser, dès que je serai aux Pays-Bas. Je n'ai pas laissé de faire de la besogne, malgré mes maladies; Apollon-Rémus et Émilie me soutiennent. Madame du Châtelet ne sait encore ni comment remercier V. A. R., ni comment donner une adresse pour ce bon vin de Hongrie. Nous comptons partir au commencement de mai; j'aurai l'honneur d'écrire à V. A. R. dès que nous nous serons un peu orientés.

Comme il faut rendre compte de tout à son maître, il y a apparence que, au retour des Pays-Bas, nous songerons à nous fixer à Paris. Madame du Châtelet vient d'acheter une maison bâtie par un des plus grands architectes de France, et peinte par Le Brun et par Le Sueur. C'est une maison faite pour un souverain qui serait philosophe. Elle est heureusement dans un quartier de Paris qui est éloigné de tout; c'est ce qui fait qu'on a eu pour deux cent mille francs ce qui a coûté deux millions à bâtir et à orner. Je la regarde comme une seconde retraite, comme un second Cirey. Croyez, monseigneur, que les larmes coulent de mes yeux quand je songe que tout cela n'est pas dans les États de Marc-Aurèle-Frédéric. La nature s'est bien trompée en me faisant naître bourgeois de Paris. Mon corps seul y sera; mon âme ne sera jamais qu'auprès d'Émilie et de l'adorable


b Voltaire écrit à Thieriot, le 21 juin 1741 : « Les vers qui regardent le roi de Prusse, et qui sont en manuscrit à quelques exemplaires de la Henriade, ne sont plus convenables. Ils n'étaient faits que pour un prince philosophe et pacifique, et non pour un roi philosophe et conquérant. »