<317>Fatale Moldavie! ô trop funestes rives!
Que de sang des humains répandu sur vos bords,
Rougissant de vos eaux les ondes fugitives,
Au loin porte l'effroi, le carnage et les morts!
Du trépas dévorant vos plaines empestées
D'un mal contagieux déjà sont infectées.
Par quel monstre inhumain, par quels affreux tyrans
Ces douces régions sont-elles désolées,
Et tant de légions de braves combattants
Sur l'autel de la mort sont-elles immolées?
Tel que le mont Athos, qui, du fond des enfers
S'élevant jusqu'aux cieux, au-dessus des nuages,
Contemple avec mépris les aquilons altiers
A l'entour de ses pieds rassembler les orages :
Tel, en sa grandeur vaine, au-dessus des humains,
Un monarque indolent maîtrise les destins;
Du fardeau de l'Etat il charge son ministre,
D'un foudre destructeur il arme ses héros;
L'autre, au fond d'un sérail signant l'ordre sinistre,
De sang-froid de la guerre allume les flambeaux.
Monarques malheureux, ce sont vos mains fatales
Qui nourrissent les feux de ces embrasements;
La Haine, l'Intérêt, déités infernales,
Précipitent vos pas dans ces égarements.
Accablés sous le poids de nombreuses provinces,
Vous en voulez encor ravir à d'autres princes!
Payez de votre sang les frais de votre orgueil;
Laissez le fils tranquille, et le père à ses filles;
Qu'ainsi que les succès, les malheurs et le deuil
Ne touchent de l'Etat que vos seules familles.
Ce globe spacieux qu'enferme l'univers,
Ce globe, des humains la commune patrie,
Où cent peuples nombreux, de cent climats divers,
Ne forment, rassemblés, qu'une ample colonie,
Distingués par leurs traits, par leurs religions,
Leurs coutumes, leurs mœurs et leurs opinions,
Du ciel, qui les forma sur un même modèle,
Reçurent tous des cœurs, et c'était pour s'aimer.
Détestez, insensés, votre rage cruelle;
L'amour ne pourra-t-il jamais vous désarmer?