101. A VOLTAIRE.
Remusberg, 10 octobre 1739.
Mon cher ami, j'avais cru avec le public que vous aviez reçu le meilleur accueil du monde de tout Paris, qu'on s'empressait de vous rendre des honneurs et de vous faire des civilités, et que votre séjour dans cette ville fameuse ne serait mêlé d'aucune amertume. Je suis fâché de m'être trompé sur une chose que j'avais fort souhaitée; et il paraît que votre sort et celui de la plupart des grands hommes est d'être persécutés pendant leur vie, et adorés comme des dieux après leur mort. La vérité est que ce sort, quelque brillant qu'il vous peigne l'avenir, vous offre le seul temps dont vous pouvez jouir sous une face peu agréable. Mais c'est dans ces occasions où il faut se munir d'une fermeté d'âme capable de résister à la peur et à tous les fâcheux accidents qui peuvent arriver. La secte des stoïciens ne fleurit jamais davantage que sous la tyrannie des méchants empereurs. Pourquoi? Parce que c'était alors une nécessité, pour vivre tranquille, de savoir mépriser la douleur et la mort.
Que votre stoïcisme, mon cher Voltaire, aille au moins à vous procurer une tranquillité inaltérable. Dites avec Horace : In virtute mea involvo.a Ah! s'il se pouvait, je vous recueillerais chez moi; ma maison vous serait un asile contre tous les coups de la fortune, et je m'appliquerais à faire le bonheur d'un homme dont les ouvrages ont répandu tant d'agréments sur ma vie.
J'ai reçu les deux nouveaux actes de Zopire. Je ne les ai lus qu'une fois; mais je vous réponds de leur succès. J'ai pensé verser des larmes en les lisant; la scène de Zopire et de Séide, celle de Séide et de Palmire, lorsque Séide s'apprête à commettre le parricide, et la scène où Mahomet, parlant à Omar, feint de condamner l'action de Séide, sont des endroits excellents. Il m'a paru, à la vérité, que Zopire venait se confesser exprès sur le théâtre pour mourir en règle, que le fond du théâtre ouvert et
a
Odes
, liv. III, ode 29, v. 54 et 55 :..........Mea
Virtute me involvo.