113. DE VOLTAIRE.
Bruxelles, 10 mars 1740.
Quoi! tout prêt à tenir les rênes d'un empire,
Vous seul vous redoutez ce comble des grandeurs
Que tout l'univers désire!
Vous ne voyez qu'un père, et vous versez des pleurs!
Grand Dieu! qu'avec amour l'univers vous contemple,
Vous qui du seul devoir avez rempli les lois,
Vous si digne du trône, et peut-être d'un temple,
Aux fils des souverains vous immortel exemple,
Vous qui serez un jour l'exemple des bons rois!
Hélas! si votre père, en ces moments funestes.
Pouvait lire dans votre cœur,
Dieu! qu'il remercierait les puissances célestes!
A ses derniers moments quel serait son bonheur!
Qu'il périrait content de vous avoir fait naître!
Qu'en vous laissant au monde, il laisse de bienfaits!
Qu'il se repentirait .... Mais j'en dis trop peut-être;
Je vous admire, et je me tais.
Je ne m'attendais pas, monseigneur, à cette lettre du 26 février, que j'ai reçue le 9 mars; celle-ci partira lundi 14, parce que ce sera le jour de la poste d'Amsterdam.
J'ignore actuellement votre situation, mais je ne vous ai jamais tant aimé et admiré. Si vous êtes roi, vous allez rendre beaucoup d'hommes heureux; si vous restez prince royal, vous allez les instruire. Si je me comptais pour quelque chose, je désirerais, pour mon intérêt, que vous restassiez dans votre heureux loisir, et que vous pussiez encore vous amuser à écrire de ces choses charmantes qui m'enchantent et qui m'éclairent. Étant roi, vous n'allez être occupé qu'à faire fleurir les arts dans vos États, à faire des alliances sages et avantageuses, à établir des manufactures, à mériter l'immortalité. Je n'entendrai parler que de vos travaux et de votre gloire; mais probablement je ne recevrai plus de ces vers agréables, ni de cette prose forte et sublime qui vous donnerait bien une autre sorte d'immortalité, si vous