<39>justice d'être persuadé que j'ai la plus extrême envie de vous faire ma cour, mais que je n'ai eu nullement le dessein d'y aller. Je suis incapable de faire une telle démarche sans des ordres précis.
La cour du Roi votre père et votre personne, monseigneur, doivent attirer des étrangers; mais un homme de lettres qui vous est attaché ne doit pas aller sans ordre.
Je ne comptais pas assurément sortir de Cirey, il y a un mois. Madame du Châtelet, dont l'âme est faite sur le modèle de la vôtre, et qui a sûrement avec vous une harmonie préétablie, devait me retenir dans sa cour, que je préfère, sans hésiter, à celle de tous les rois de la terre, et comme ami, et comme philosophe, et comme homme libre, car
..........Fuge suspicariCujus octavum trepidavit aetas
Claudere lustrum.a
Un orage m'a arraché de cette retraite heureuse; la calomnie m'a été chercher jusque dans Cirey. Je suis persécuté depuis que j'ai fait la Henriade. Croiriez-vous qu'on m'a reproché plus d'une fois d'avoir peint la Saint-Barthélémy avec des couleurs trop odieuses? On m'a appelé athée, parce que je dis que les hommes ne sont point nés pour se détruire. Enfin la tempête a redoublé, et je suis parti par les conseils de mes meilleurs amis. J'avais esquissé les principes assez faciles de la philosophie de Newton; madame du Châtelet avait sa part à l'ouvrage; Minerve dictait, et j'écrivais. Je suis venu à Leyde travailler à rendre l'ouvrage moins indigne d'elle et de vous; je suis venu à Amsterdam le faire imprimer et faire dessiner les planches. Cela durera tout l'hiver. Voilà mon histoire et mon occupation; les bontés de V. A. R. exigeaient cet aveu.
J'étais d'abord en Hollande sous un autre nom, pour éviter les visites, les nouvelles connaissances et la perte du temps; mais les gazettes ayant débité des bruits injurieux semés par mes ennemis, j'ai pris sur-le-champ la résolution de les confondre en les démentant et en me faisant connaître.
Je n'ai pas encore eu le temps de lire toute la Métaphysique
a Horace, Odes, livre II, ode 4, v. 22-24.