<69>Felix qui potuit rerum cognoscere causas,
Atque metus omnes et inexorabile fatum
Subjecit pedibus strepitumque Acherontis avari!a
Cicéron et Virgile courraient grand risque; il n'y a que les jésuites à qui il est permis de tout dire; et si V. A. R. a lu ce qu'ils disent, je doute qu'elle leur fasse le même honneur qu'à M. Rollin.a Pour bien écrire l'histoire, il faut être dans un pays libre; mais la plupart des Français réfugiés en Hollande ou en Angleterre ont altéré la pureté de leur langue.
A l'égard de nos universités, elles n'ont guère d'autre mérite que celui de leur antiquité. Les Français n'ont point de Wolff, point de Mac-Laurin, point de Manfredi, point de s'Gravesande, ni de Musschenbroek. Nos professeurs de physique, pour la plupart, ne sont pas dignes d'étudier sous ceux que je viens de citer. L'Académie des sciences soutient très-bien l'honneur de la nation; mais c'est une lumière qui ne se répand pas encore assez généralement; chaque académicien se borne à des vues particulières. Nous n'avons ni bonne physique, ni bons principes d'astronomie pour instruire la jeunesse; et nous sommes obligés, en cela, d'avoir recours aux étrangers.
L'opéra se soutient, parce qu'on aime la musique; et malheureusement cette musique ne saurait être, comme l'italienne, du goût des autres nations. La comédie tombe absolument. A propos de comédie, je suis très-mortifié, monseigneur, qu'on ait envoyé l'Enfant prodigue à V. A. R. Premièrement, la copie que vous avez n'est point mon véritable ouvrage; en second lieu, la véritable n'est qu'une ébauche, que je n'ai ni le temps ni la volonté d'achever, et qui ne méritait point du tout vos regards.
Je parle à V. A. R. avec la naïveté qui n'est peut-être que trop mon caractère; je vous dis, monseigneur, ce que je pense de ma nation, sans vouloir la mépriser ni la louer. Je crois que les Français vivent un peu dans l'Europe sur leur crédit, comme un homme riche qui se ruine insensiblement. Notre nation a besoin de l'œil du maître pour être encouragée; et pour moi, monseigneur, je ne demande rien que la continuation des regards
a Géorgiques, livre II, v. 490-492.
a Voyez t. XVI, p. 251 et suivantes.