<75>Césarion, pourra-t-on vous faire abandonner un séjour si plein de charmes? Que les liens d'une vieille amitié sont faibles contre tant d'appas!
Je remets mes intérêts entre vos mains; c'est à vous, monsieur, de me rendre mon ami. Il est peut-être l'unique mortel digne de devenir citoyen de Cirey; mais souvenez-vous que c'est tout mon bien, et que ce serait une injustice criante de me le ravir.
J'espère que mon petit ambassadeur reviendra chargé de la toison d'or, c'est-à-dire, de votre Pucelle et de tant d'autres pièces à moitié promises, mais encore plus impatiemment attendues. Vous savez que j'ai un goût déterminé pour vos ouvrages; il y aurait plus que de la cruauté à me les refuser.
Il me semble que la dépravation du goût n'est pas si générale en France que vous le croyez. Les Français connaissent encore un Apollon à Cirey, des Fontenelle, des Crébillon, des Rollin pour la clarté et la beauté du style historique; des d'Olivet pour les traductions; des Bernard et des Gresset, dont les muses naturelles et polies peuvent très-bien remplacer les Chaulieu et les La Fare.
Si Gresset pèche quelquefois contre l'exactitude, il est excusable par le feu qui l'emporte; plein de ses pensées, il néglige les mots. Que la nature fait peu d'ouvrages accomplis! et qu'on voit peu de Voltaires! J'ai pensé oublier M. de Réaumur, qui, en qualité de physicien, est en grande réputation chez vous.a Voilà ce qui me paraît la quintessence de vos grands hommes. Les autres auteurs ne me paraissent pas fort dignes d'attention. Les belles-lettres ne sont plus récompensées comme elles l'étaient du temps de Louis le Grand. Ce prince, quoique peu instruit, se faisait une affaire sérieuse de protéger ceux dont il attendait son immortalité. Il aimait la gloire, et c'est à cette noble passion que la France est redevable de son Académie et des arts qui y fleurissent encore.
Quant à la métaphysique, je ne crois pas qu'elle fasse jamais fortune ailleurs qu'en Angleterre. Vous avez vos bigots, nous
a Chez nous. (Variante des Œuvres posthumes, t. VIII. p. 284.) Voyez t. I, p. XLIII, et t. XI, p. 33.