<80>de M. Wolff, la dissertation de M. de Beausobre, et surtout la lettre charmante que vous avez daigné m'écrire de Ruppin, le 6 de juillet. Avec cela on peut braver la fièvre et la langueur qui me minent, et je m'aperçois qu'on peut souffrir et être heureux.
Votre aimable ambassadeur n'a plus de goutte; nous allons le perdre. Il n'est venu que pour se faire regretter; il retourne vers le prince qu'il aime et dont il est aimé; il laisse à Cirey un souvenir éternel de lui, et le règne de Frédéric bien établi. Il emporte mon tribut; j'ai donné tout ce que j'avais. On dit qu'il y a eu des tyrans qui dépouillaient leurs sujets; mais les bons sujets donnent volontiers tous leurs biens aux bons princes.
J'ai donc mis dans un petit paquet tout ce que j'ai fait de l'Histoire de Louis XIV, quelques pièces de vers qui ont été imprimées à la suite de la Henriade, d'une manière très-fautive, quelques morceaux de philosophie. Je me suis dit, en faisant emballer toutes mes pensées :
Pauvre petit génie, oseras-tu paraître
Devant ce génie immortel?
Pour être digne de ton maître,
Il faudrait être universel,
Et tu n'as pas l'honneur de l'être.
Ton prince, continuai-je, aime, connaît, cultive tous les arts, depuis la musique jusqu'à la vraie philosophie; il connaît surtout le grand art de plaire; et, s'il ne joignait pas à ces vertus celle de l'indulgence, M. de Keyserlingk n'emporterait pas un si énorme paquet.
Enfin, monseigneur, vous m'avez inspiré ce que les princes inspirent si rarement, la confiance la plus grande.
J'aurais bien voulu joindre la Pucelle au reste du tribut; votre ambassadeur vous dira que la chose est impossible. Ce petit ouvrage est, depuis près d'un an, entre les mains de madame la marquise du Châtelet, qui ne veut pas s'en dessaisir. L'amitié dont elle m'honore ne lui permet pas de hasarder une chose qui pourrait me séparer d'elle pour jamais; elle a renoncé à tout pour vivre avec moi dans le sein de la retraite et de l'étude;