<180>l'état où je suis! Plût à Dieu! mais mon cœur et mon corps ne sont pas de la même espèce. Et puis, Sire, pourrez-vous me souffrir? J'ai eu une maladie qui m'a rendu sourd d'une oreille, et qui m'a fait perdre mes dents. Les eaux de Plombières m'ont laissé languissant. Voilà un plaisant cadavre à transporter à Potsdam, et à passer à travers vos gardes! Je vais me tapir à Paris, au coin du feu. Le Roi mon maître a la bonté de me dispenser de tout service. Si je me raccommode un peu cet hiver, il serait bien doux de venir me mettre à vos pieds, dans le commencement de l'été; ce serait pour moi un rajeunissement. Mais dois-je l'espérer? Il me reste un souffle de vie, et ce souffle est à vous. Mais je voudrais venir à Berlin avec M. de Séchelles, que V. M. connaît; elle en croirait peut-être plus un intendant d'armée, qui parle gras, et qui m'a rendu le service de faire arrêter, à Bruxelles, la nommée Desvignes, laquelle était encore saisie de tous les papiers qu'elle avait volés à madame du Châtelet, et dont elle avait déjà fait marché avec les coquins de libraires d'Amsterdam. V. M. pourrait très-aisément s'en informer. Je vous avoue, Sire, que j'ai été très-affligé que vous ayez soupçonné que j'eusse pu rien déguiser. Mais si les libraires d'Amsterdam sont des fripons à pendre, le grand Frédéric, après tout, doit-il être fâché qu'on sache, dans la postérité, qu'il m'honorait de ses bontés? Pour moi, Sire, je voudrais n'avoir jamais rien fait imprimer; je voudrais n'avoir écrit que pour vous, avoir passé tous mes jours à votre cour, et passer encore le reste de ma vie à vous admirer de près. J'ai l'ait une très-grande sottise de cultiver les lettres pour le public. Il faut mettre cela au rang des vanités dangereuses dont vous parlez si bien; et, en vérité, tout est vanité, hors de passer ses jours auprès d'un homme tel que vous.
Faites comme il vous plaira, mais mon admiration, mon très-profond respect, mon tendre attachement, ne finiront qu'avec ma vie.