<305>sonne.a Vous devez juger de ma situation affreuse, de celle de toute ma famille. Il ne me reste qu'à m'aller cacher pour jamais, et déplorer mon malheur en silence. M. Fredersdorf,b qui vient me consoler dans ma disgrâce, m'a fait espérer que V. M. daignerait écouter envers moi la bonté de son caractère, et qu'elle pourrait réparer par sa bienveillance, s'il est possible, l'opprobre dont elle m'a comblé. Il est bien sûr que le malheur de vous avoir déplu n'est pas le moindre que j'éprouve. Mais comment paraître? comment vivre? Je n'en sais rien. Je devrais être mort de douleur. Dans cet état horrible, c'est à votre humanité à avoir pitié de moi. Que voulez-vous que je devienne et que je fasse? Je n'en sais rien. Je sais seulement que vous m'avez attaché à vous depuis seize années. Ordonnez d'une vie que je vous ai consacrée, et dont vous avez rendu la fin si amère. Vous êtes bon, vous êtes indulgent, je suis le plus malheureux homme qui soit dans vos États; ordonnez de mon sort.
324. DU MÊME.a
(1er janvier 1753.)
Sire, pressé par les larmes et les sollicitations de ma famille, je me vois obligé de mettre à vos pieds mon sort, et les bienfaits, et les distinctions dont vous m'avez honoré. Ma résignation est
a Lorsque le Roi eut fait brûler l'Akakia de Voltaire, le 24 décembre 1752 (t. XIV, p. 196), celui-ci lui remit la clef de chambellan et l'ordre pour le mérite, avec ces vers :
Je les reçus avec tendresse,
Je vous les rends avec douleur;
C'est ainsi qu'un amant, dans son extrême ardeur,
Rend le portrait de sa maîtresse.
b Trésorier privé du Roi. Voyez t. XIX, p. 37 et 48.
a Cette lettre est tirée de la Correspondance inédite de Voltaire avec Frédéric, le président de Brosses, etc., publiée par M. Foisset. Paris, 1836, p. 15-17.