<62>La fière Autriche en murmura,
Le conseil aulique cria,
Dépêcha plus d'une estafette,
Plus d'une lettre barbouilla,
Et dit que ce voyage-là
Était contraire à l'étiquette.
Cependant Frédéric parut
Dans la Silésie étonnée;
Vers lui tout un peuple accourut,
En bénissant sa destinée.
Il prit les filles par la main;
Il caressa le citadin;
Il flatta la sottise altière
De celui qui, dans sa chaumière,
Se dit issu de Witikind;
Aux huguenots il fit accroire
Qu'il était bon luthérien;
Au papiste, à l'ignatien,
Il dit qu'un jour il pourrait bien
Leur faire en secret quelque bien,
Et croire même au purgatoire.
Il dit, et chaque citoyen
A sa santé s'en alla boire.
Ils criaient tous à haute voix :
Vivons et buvons sous ses lois!
Mais, tandis qu'on tient ce langage,
Que de fleurs on couvre ses pas,
Il part, et son brillant courage
Appelle déjà les combats.
Va donc préparer ta trompette,
Et tes lauriers, et tes crayons.
Un héros exige un poëte,
Des exploits veulent des chansons.
Célèbre ce héros qu'on aime;
Fais des vers dignes de mon roi.
Pardieu, qu'il les fasse lui-même!
Il sait les faire mieux que moi.
J'avoue, Sire, que j'attends au moins un huitain du vainqueur de la Silésie. J'aime à voir mon héros toucher aux deux extrémités à la fois.