125. A VOLTAIRE.
Charlottenbourg, 6 juin 1740.
Mon cher ami, mon sort est changé, et j'ai assisté aux derniers moments d'un roi, à son agonie, à sa mort. En parvenant à la royauté, je n'avais pas besoin assurément de cette leçon pour être dégoûté de la vanité des grandeurs humaines.
J'avais projeté un petit ouvrage de métaphysique; il s'est changé en un ouvrage de politique. Je croyais jouter avec l'aimable Voltaire, et il me faut escrimer avec Machiavel.3-a Enfin, mon cher Voltaire, nous ne sommes point maîtres de notre sort. Le tourbillon des événements nous entraîne, et il faut se laisser entraîner. Ne voyez en moi, je vous prie, qu'un citoyen zélé, un philosophe un peu sceptique, mais un ami véritablement fidèle. Pour Dieu, ne m'écrivez qu'en homme, et méprisez avec moi les titres, les noms, et tout l'éclat extérieur.
Jusqu'à présent il me reste à peine le temps de me reconnaître; j'ai des occupations infinies; je m'en donne encore de surplus; mais, malgré tout ce travail, il me reste toujours du temps assez pour admirer vos ouvrages, et pour puiser chez vous des instructions et des délassements.
Assurez la marquise de mon estime. Je l'admire autant que ses vastes connaissances et la rare capacité de son esprit le méritent.
Adieu, mon cher Voltaire; si je vis, je vous verrai, et même dès cette année. Aimez-moi toujours, et soyez toujours sincère avec votre ami.
3-a Avec le vieux Machiavel mitré. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 108.) Voyez. t. XXL, p. 393.