259. DU MÊME.
Paris, 13 avril 1750.275-a
Grand roi, voici donc le recueil
De ma dernière rapsodie.
Si j'avais quelque grain d'orgueil,
De Frédéric un seul coup d'œil
Me rendrait de la modestie.
Votre tribunal est l'écueil
Où notre vanité se brise;
L'œuvre que votre goût méprise
Dès ce moment tombe au cercueil;
Rien n'est plus juste; votre accueil
Est ce qui nous immortalise.
A propos d'immortalité, Sire, j'aurai l'honneur de vous avouer que c'est une fort belle chose; il n'y a pas moyen de vous dire du mal de ce que vous avez si bien gagné. Mais il vaut mieux vivre deux ou trois mois auprès de V. M. que trente mille ans dans la mémoire des hommes. Je ne sais pas si d'Arnaud sera immortel, mais je le tiens fort heureux dans cette courte vie.
La mienne ne tient plus qu'à un petit fil; je serai fort en colère, si ce petit fil est coupé avant que j'aie encore eu la consolation de revoir le grand homme de ce siècle. Vos vers sur le cardinal de Richelieu ont été retenus par cœur. Le moyen de s'en empêcher!
<243>Richelieu fit son Testament,
Et Newton son Apocalypse.
Cela est si naturel, si aisé, si vrai, si bien dit, si court, si dégagé de superfluités, qu'il est impossible de ne s'en pas souvenir. Ces vers sont déjà un proverbe. Vous êtes assurément le premier roi de Prusse qui ait fait des proverbes en France. V. M. verra, dans la rapsodie ci-jointe, mes raisons contre madame d'Aiguillon.
Jugez ce Testament fameux,
Qu'en vain d'Aiguillon veut défendre;
Vous en avez bien jugé deux
Plus difficiles à comprendre.
Je ne verrai donc jamais, Sire, votre Valoriade? il y a une ode dans un recueil de votre Académie;276-a je n'ai ni le recueil, ni l'ode. C'est bien la peine de vous aimer pour être traité ainsi! Oh! le mauvais marché que j'ai fait là!
Je vous donne toute mon âme sans restriction.
275-a Paris, 20 mai 1750. (Variante de l'édition de Kehl, t. LXV, p. 242.)
276-a Voyez t. X, p. 20.