304. DU MÊME.

Dimanche, 20 février (1752).

Sire, j'espérais venir mettre hier à vos pieds ce petit tribut, heureux s'il pouvait être dans la bibliothèque de V. M., au-dessous de l'Histoire de Brandebourg, comme le serviteur au-dessous du maître. Mon triste état ne m'a pas permis de remplir mes désirs. Je me flatte encore que, mercredi ou jeudi, je pourrai jouir de ce bonheur, et reprendre un reste de vie par vos bontés. Celui qui a dit si heureusement et d'une manière si touchante qu'il était

.... roi sévère et citoyen humain,329-a

<289>celui qui a daigné rassurer ma famille contre ses craintes, se souviendra que depuis seize ans je lui suis attaché. Comment, Sire, après ce temps, ne me serais-je pas donné entièrement à vous, quand je joins à l'étonnement où vos talents me jettent le bonheur de trouver mes sentiments, mes goûts justifiés par les vôtres, la même horreur des préjugés, la même ardeur pour l'étude, la même impatience de finir ce qui est commencé, avec la patience de le polir et de le retoucher? Vous m'encouragez au bout de ma carrière; et, à présent que vous êtes perfectionné dans la connaissance et dans l'usage de toutes les finesses de notre langue, en vers et en prose, à présent que je ne vous suis plus d'aucun secours pour les bagatelles grammaticales, vous me souffrirez par bonté, par générosité, par cette constance attachée à vos vertus. Vous n'ignorez pas que mon cœur est fait pour être sensible avec persévérance, que j'ai vécu vingt ans avec la même personne, que mes amis sont des amis de plus de quarante années, que je n'en ai perdu que par la mort, et que ma passion pour vous vous a fait le maître de ma destinée.


329-a Voyez t. X, p. 258, et ci-dessus, p. 291.