<116>qu'il faut faire honte aux hommes du fanatisme et de l'intolérance, et que c'est servir l'humanité que de combattre ces folies cruelles et atroces qui ont transformé nos ancêtres en bêtes carnassières. Détruire le fanatisme, c'est tarir la source la plus funeste des divisions et des haines présentes à la mémoire de l'Europe, et dont on découvre les vestiges sanglants chez tous les peuples. Voilà pourquoi vos philosophes, s'ils viennent à Clèves, seront bien reçus; voilà pourquoi le baron de Werder, président de la chambre, a déjà été prévenu de les favoriser pour leur établissement; ils y trouveront sûreté, faveur et protection; ils y feront en liberté des vœux pour le Patriarche de Ferney; à quoi j'ajouterai un hymne en vers au dieu de la santé et de la poésie, pour qu'il nous conserve longues années son vicaire helvétique, que j'aime cent fois mieux que celui de saint Pierre, qui réside à Rome. Adieu.
P. S. Vous me demandez ce qu'il me semble de Rousseau de Genève. Je pense qu'il est malheureux et à plaindre. Je n'aime ni ses paradoxes, ni son ton cynique.a Ceux de Neufchâtel en ont mal usé envers lui : il faut respecter les infortunés; il n'y a que des âmes perverses qui les accablent.
396. DE VOLTAIRE.
Le 5 janvier 1767.
Sire, je me doutais bien que votre muse se réveillerait tôt ou tard. Je sais que les autres hommes seront étonnés que, après une guerre si longue et si vive, occupé du soin de rétablir votre royaume, gouvernant sans ministres, entrant dans tous les détails, vous puissiez cependant faire des vers français; mais moi, je n'en suis pas surpris, parce que j'ai fort l'honneur de vous con-
a Voyez t. IX, p. X, 198, 224 et 225; t. XVIII, p. 249; t. XX, p. 321 et suivantes, et p. 333 et 334.