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412. DE VOLTAIRE.

(Ferney) janvier 1770.

Mon cher Lorrain,a je ne sais pas comment vous vous appelez aujourd'hui, mais au bout de dix-huit ans j'ai reconnu votre écriture. Je vois que vous avez travaillé sous un grand maître. Vous êtes donc de l'Académie de Berlin? Assurément vous en faites l'ornement et l'instruction. Vous me paraissez un grand philosophe dans le séjour des revues, des canons et des baïonnettes. Comment avez-vous pu allier des objets si contraires? Il n'y a point de cour en Europe où l'on associe ces deux ennemis. Vous me direz peut-être que Marc-Aurèle et Julien avaient trouvé ce secret, qu'il a été perdu jusqu'à nos jours, et que vous vivez auprès d'un maître qui l'a ressuscité. Cela est vrai, mon cher Lorrain; mais ce maître ne donne pas le génie.

Il faut que vous en ayez beaucoup pour que vous ayez enfin montré par votre écrit la vraie manière d'être vertueux sans être un sot et sans être un enthousiaste.

Vous avez raison, vous touchez au but. C'est l'amour-propre bien dirigé qui fait les hommes de bon sens véritablement vertueux. Il ne s'agit plus que d'avoir du bon sens; et tout le monde en a sans doute assez pour vous comprendre, puisque votre écrit est, comme tous les bons ouvrages, à la portée de tout le monde.

Oui, l'amour-propre est le vent qui enfle les voiles, et qui conduit le vaisseau dans le port. Si le vent est trop violent, il nous submerge; si l'amour-propre est désordonné, il devient frénésie. Or, il ne peut être frénétique avec du bon sens. Voilà donc la raison mariée à l'amour-propre; leurs enfants sont la vertu et le bonheur. Il est vrai que la raison a fait bien des fausses couches avant de mettre ces deux enfants au monde. On prétend encore qu'ils ne sont pas entièrement sains, et qu'ils ont toujours quelques petites maladies; mais ils s'en tirent avec du régime.

Je vous admire, mon cher Lorrain, quand je lis ces paroles : «  »


a Cette lettre est la réponse à l'envoi du manuscrit de l'ouvrage du Roi ci-dessus mentionné. Voltaire l'adresse à son ancien copiste Villaume. qui était au service de Frédéric depuis 1755. Voyez t. XIX, p. 301, et t. XX, p. 67.