420. A VOLTAIRE.
Sans-Souci, 7 juillet 1770.
Que le saint-père ait fait brûler
Un gros tas de mes rapsodies,
Je saurai, pour m'en consoler,
Me chauffer à leurs incendies,
Et mettre aux pieds de Jésus-Christ,
En bon enfant de saint Ignace,
Tout ce que j'ai jamais écrit
Sans l'assistance de la grâce,
Suffisante comme efficace.
Mais ce suisse du paradis
Etait ivre, ou du moins bien gris,
Lorsqu'il osa traiter de même
Les ouvrages de mon bon saint,
Nouveau patron de Cucufin.
J'appelle de cet anathème
Au corps du concile prochain.
Il paraît même très-plausible,
Et, malgré Loyola, je crois
Que le saint-père en tels exploits
Ne fut jamais moins infaillible.
Ce bon cordelier du Vatican n'est pas, après tout, aussi hargneux qu'on se l'imagine. S'il fait brûler quelques livres, c'est seulement pour que l'usage ne s'en perde pas; et d'ailleurs les nez romains aiment à flairer l'odeur de cette fumée.
Mais n'admirez-vous pas avec quelle patience digne de l'agneau sans tache il s'est laissé enlever le comtat d'Avignon,a combien peu il y pense, et dans quelle concorde il vit avec le Très-Chrétien? Pour moi, j'aurais tort de me plaindre de lui; il me laisse mes chers jésuites, que l'on persécute partout. J'en conserverai la graine précieuse, pour en fournir un jour à ceux qui voudraient cultiver chez eux cette plante si rare. Il n'en est pas de même du sultan turc.
a La France prit possession d'Avignon le 11 juin 1768, et le même jour le roi de Naples s'empara du duché de Bénévent.