<172>faisant toutes les sottises possibles, ignorant, orgueilleux et battu, soit plus heureux, s'il digère, qu'un héros philosophe qui ne digérerait pas?
Tous les êtres sont-ils égaux devant le grand Être qui anime la nature? En ce cas, l'âme de Ravaillac serait à jamais égale à celle de Henri IV; ou ni l'un ni l'autre n'auraient eu d'âme. Que le héros philosophe débrouille tout cela, car, pour moi, je n'y entends rien.
Je reste, du fond de mon chaos, pénétré de respect, de reconnaissance et d'attachement pour votre personne, et du néant de presque tout le reste.
426. A VOLTAIRE.
Potsdam, 30 octobre 1770.
Une mite qui végète dans le nord de l'Allemagne est un mince sujet d'entretien pour des philosophes qui discutent des mondes divers flottant dans l'espace de l'infini, du principe du mouvement et de la vie, du temps et de l'éternité, de l'esprit et de la matière, des choses possibles et de celles qui ne le sont pas. J'appréhende fort que cette mite n'ait distrait ces deux grands philosophes d'objets plus importants et plus dignes de les occuper. Les empereurs, ainsi que les rois, disparaissent dans l'immense tableau que la nature offre aux yeux des spéculateurs. Vous, qui réunissez tous les genres, vous descendez quelquefois de l'Empyrée; tantôt Anaxagore, tantôt Triptolème, vous quittez le Portique pour l'agriculture, et vous offrez sur vos terres un asile aux malheureux. Je préférerais bien la colonie de Ferney, dont Voltaire est le législateur, à celle des quakers de Philadelphie, auxquels Locke donna des lois.
Nous avons ici des fugitifs d'une autre espèce; ce sont des Polonais qui, redoutant les déprédations, le pillage et les cruautés de leurs compatriotes, ont cherché un asile sur mes terres. Il y a