<192>patriotes et moi, nous n'avons que ce gros bon sens qui trotte par les rues. Ma faible chandelle s'éteint, et ce soupçon d'imagination dont je n'eus qu'une faible dose m'abandonne; ma gaîté me quitte, ma vivacité se perd. Conservez longtemps la vôtre; puissiez-vous, comme le bonhomme Saint-Aulaire,a faire des vers à cent ans, et moi les lire! c'est ce que je prie Apollon de vous accorder.
Les princes de Suède n'iront point à Ferney; l'aîné est devenu roi, et se hâte d'occuper le trône que la mort de son père lui laisse. Pour le pauvre d'Argens, il a cessé de parler, de penser et d'écrire. C'est mon maréchal des logis; il est allé me préparer une demeure dans le pays des rêve-creux, où probablement nous nous rassemblerons tous.
437. DE VOLTAIRE.
Ferney, 5 avril 1771.
Sire, on a dit que j'étais tombé en jeunesse, mais on n'a pas encore dit que je fusse tombé en enfance. Mes parents me feraient certainement interdire, et on me déclarerait incapable de tester, si j'avais fait le Testament ridicule qu'on m'attribue. Le bon goût de V. M. n'y a pas été trompé; vous avez bien senti qu'il était impossible qu'un homme de mon âge parlât ainsi de lui-même. Cette impertinence est d'un avocat de Paris, nommé Marchand, qui régale tous les mois le public d'un ouvrage dans ce goût. Je ne le mettrai certainement pas dans mon testament; il peut compter qu'il n'aura rien de moi pour sa peine. Je puis assurer V. M. que mes dernières volontés sont absolument différentes de celles qu'on me prête. Je ne crains point la mort qui
a Le marquis de Saint-Aulaire mourut en 1742, âgé de près de cent ans, ou, selon d'autres, de cent deux. Les plus jolis vers qu'on ait de lui datent d'un temps où il était plus que nonagénaire. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIX, p. 193 et 194.