<20>mène la vie des comédiens de campagne, jouant tantôt sur un théâtre, tantôt sur un autre, quelquefois sifflé, quelquefois applaudi. La dernière pièce qu'il a jouéeb était la Thébaïde;c à peine y resta-t-il le moucheur de chandelles. Je ne sais ce qui arrivera de tout ceci; mais je crois, avec nos bons épicuriens, que ceux qui se tiennent sur l'amphithéâtre sont plus heureux que ceux qui se tiennent sur les tréteaux. Quoique je sois par voie et par chemin, j'entends à bâtons rompus parler de ce qui se passe dans la république des lettres; et cette bavarde à cent bouches ne dit point ce que vous faites. J'aurais envie de crier à vos oreilles : Tu dors, Brutus!d Voici trois ans écoulés qu'il ne paraît point de nouvelles éditions de vos ouvrages; que faites-vous donc? Au cas que vous ayez fait quelque chose de nouveau, je vous prie de me l'envoyer. D'ailleurs, je vous souhaite toute la tranquillité et tout le repos dont je ne jouis pas. Adieu.

344. AU MÊME.

Le 6 octobrea 1758.

Il vous a été facile de juger de ma douleur par la perte que j'ai faite. Il y a des malheurs réparables par la constance et par un peu de courage; mais il y en a d'autres contre lesquels toute la fermeté dont on veut s'armer et tous les discours des philosophes ne sont que des secours vains et inutiles. Ce sont de ceux-ci dont ma malheureuse étoile m'accable dans les moments les plus embarrassants et les plus remplis de ma vie.

Je n'ai point été malade, comme on vous l'a dit; mes maux


b La bataille de Zorndorf.

c La Thébaïde, ou les Frères ennemis, tragédie de Racine, dans laquelle périssent tous les personnages principaux, Jocaste, Etéocle, Polynice, Hémon, Antigone, Créon.

d Plutarque, Vie de César, chap. LXII.

a Il faut sans doute lire novembre, puisque cette lettre fait mention de la mort de la margrave de Baireuth, arrivée le 14 octobre.