444. A VOLTAIRE.
Sans-Souci, 18 novembre 1771.b
Vous vous moquez de moi, mon bon Voltaire; je ne suis ni un héros, ni un océan, mais un homme qui évite toutes les querelles qui peuvent désunir la société. Comparez-moi plutôt à un médecin qui proportionne le remède au tempérament du malade. Il faut des remèdes doux pour les fanatiques; les violents leur donnent des convulsions. Voilà comme je traite les prédicants de Genève, qui ressemblent plus, par leur véhémence, aux réformateurs du quinzième siècle qu'à la génération présente.
Il y a longtemps que j'ai lu la brochure du Droit des hommes et de l'usurpation des papes. Vous croyez donc que les Semnons ne sont pas curieux de vos ouvrages, et qu'on ne les lit pas au bord de la Havel avec autant et peut-être plus de plaisir que sur les rives de la Seine ou du Rhône? Cette brochure parut précisément après que les Français eurent pris possession du Comtat; je crus que c'était leur manifeste, et que par mégarde on l'avait imprimé après coup.
Je vous ai mille obligations des sixième et septième tomes de votre Encyclopédie, que j'ai reçus. Si le style de Voiture était encore à la mode, je vous dirais que le père des Muses est l'auteur de cet ouvrage, et que l'approbation est signée du dieu du goût. J'ai été fort surpris d'y trouver mon nom,a que vous y avez mis par charité. J'y ai trouvé quelques paraboles moins obscures que celles de l'Évangile, et je me suis applaudi de les avoir expliquées. Cet ouvrage est admirable, et je vous exhorte à le continuer. Si c'était un discours académique, assujetti à la révision de la Sorbonne, je serais peut-être d'un autre avis.
Travaillez toujours; envoyez vos ouvrages en Angleterre, en Hollande, en Allemagne et en Russie; je vous réponds qu'on les y dévorera. Quelque précaution qu'on prenne, ils entreront en
b Le 13 novembre 1771. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 155.)
a Article Gloire; Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXX, p. 66 et 67.