<222>J'ai lu les beaux vers que vous avez faits pour le roi de Suède. Ils ont toute la fraîcheur de vos ouvrages qui parurent au commencement de ce siècle. Semper idem : c'est votre devise. Il n'est pas donné à tout le monde de l'arborer.

Comment pourrais-je vous rajeunir, vous qui êtes immortel! Apollon vous a cédé le sceptre du Parnasse, il a abdiqué en votre faveur. Vos vers se ressentent de votre printemps, et votre raison, de votre automne. Heureux qui peut ainsi réunir l'imagination et la raison! Cela est bien supérieur à l'acquisition de quelques provinces dont on n'aperçoit pas l'existence sur le globe,a et qui, des sphères célestes, paraîtraient à peine comparables à un grain de sable.

Voilà les misères dont nous autres politiques nous nous occupons si fort. J'en ai honte. Ce qui doit m'excuser, c'est que, lorsqu'on entre dans un corps, il faut en prendre l'esprit. J'ai connu un jésuite qui m'assurait gravement qu'il s'exposerait au plus cruel martyre, ne pût-il convertir qu'un singe. Je n'en ferais pas autant; mais quand on peut réunir et joindre des domaines entrecoupés, pour faire un tout de ses possessions, je ne connais guère de mortels qui n'y travaillassent avec plaisir. Notez toutefois que cette affaire-ci s'est passée sans effusion de sang, et que les encyclopédistes ne pourront déclamer contre les brigands mercenaires,b et employer tant d'autres belles phrases dont l'éloquence ne m'a jamais touché. Un peu d'encre, à l'aide d'une plume, a tout fait; et l'Europe sera pacifiée, au moins des derniers troubles. Quant à l'avenir, je ne réponds de rien. En parcourant l'histoire, je vois qu'il ne s'écoule guère dix ans sans qu'il n'y ait quelques guerres. Cette fièvre intermittentec peut être suspendue, mais jamais guérie. Il faut en chercher la raison dans l'inquiétude naturelle à l'homme. Si l'un n'excite des troubles, c'est l'autre; et une étincelle cause souvent un embrasement général.

Voilà bien du raisonnement; je vous donne de la marchandise


a Sur le globe général. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 170.)

b Voyez ci-dessus, p. 176 et 222.

c Ci-dessus, p. 206, Frédéric appelle la guerre « cette fièvre intermittente des rois. »