<229>depuis Pétersbourg jusqu'à Ferney. Vous savez mieux que personne que le mensonge fait plus de chemin que la vérité.
En attendant, le Grand Turc devient plus docile. Les conférences ont été entamées de nouveau, ce qui me fait croire que la paix se fera. Si le contraire arrive, il est probable que M. Mustapha ne séjournera plus longtemps en Europe. Tout cela dépend d'un nombre de causes secondes, obscures et impénétrables, des insinuations guerrières de certaines cours, du corps des ulémas, du caprice d'un grand vizir, de la morgue des négociateurs; et voilà comme le monde va. Il ne se gouverne que par compère et commère. Quelquefois, quand on a assez de données, on devine l'avenir; souvent on s'y trompe.
Mais en quoi je ne m'abuserai pas, c'est en vous pronostiquant les suffrages de la postérité la plus reculée. Il n'y a rien de fortuit en cette prophétie. Elle se fonde sur vos ouvrages, égaux et quelquefois supérieurs à ceux des auteurs anciens qui jouissent encore de toute leur gloire. Vous avez le brevet d'immortalité en poche; avec cela il est doux de jouir et de se soutenir dans la même force, malgré les injures du temps et la caducité de l'âge. Faites-moi donc le plaisir de vivre tant que je serai dans le monde; je sens que j'ai besoin de vous, et, ne pouvant vous entretenir, il est encore bien agréable de vous lire. Le Philosophe de Sans-Souci vous salue.
460. DE VOLTAIRE.
Ferney, 8 décembre 1772.
Sire, votre très-plaisant poëme sur les confédérés m'a fait naître l'idée d'une fort triste tragédie, intitulée Les Lois de Minos, qu'on va siffler incessamment chez les Velches. Vous me demanderez comment un ouvrage aussi gai que le vôtre a pu se tourner chez moi en source d'ennui. C'est que je suis loin de vous; c'est que je n'ai plus l'honneur de souper avec vous; c'est que je ne