<235>tapha, ni avec aucun autre; ce serait une vanité puérile et bourgeoise; je ne m'embarrasse que de mes affaires. Souvent, pour m'humilier, je me mets en parallèle avec le to kalon, avec l'archétype des stoïciens; et je confesse alors avec Memnona que des êtres fragiles comme nous ne sont pas formés pour atteindre à la perfection.

Si l'on voulait recueillir tous les préjugés qui gouvernent le monde, le catalogue remplirait un gros in-folio. Contentons-nous de combattre ceux qui nuisent à la société, et ne détruisons pas les erreurs utiles autant qu'agréables.

Cependant, quelque goût que je confesse d'avoir pour la gloire, je ne me flatte pas que les princes aient le plus de part à la réputation; je crois, au contraire, que les grands auteurs qui savent joindre l'utile à l'agréable, instruire en amusant,b jouiront d'une gloire plus durable, parce que, la vie des bons princes se passant toute en action, la vicissitude et la foule des événements qui suivent effacent les précédents; au lieu que les grands auteurs sont non seulement les bienfaiteurs de leurs contemporains, mais de tous les siècles.

Le nom d'Aristote retentit plus dans les écoles que celui d'Alexandre. On lit et relit plus souvent Cicéron que les Commentaires de César. Les bons auteurs du dernier siècle ont rendu le règne de Louis XIV plus fameux que les victoires du conquérant. Les noms de Fra-Paolo, du cardinal Bembe, du Tasse, de l'Arioste, l'emportent sur ceux de Charles-Quint et de Léon X, tout vice-Dieu que ce dernier prétendît être. On parle cent fois de Virgile, d'Horace, d'Ovide, pour une fois d'Auguste, et encore est-ce rarement à son honneur. S'agit-il de l'Angleterre, on est bien plus curieux des anecdotes qui regardent les Newton, les Locke, les Shaftesbury, les Milton, les Bolingbroke, que de la cour molle et voluptueuse de Charles II, de la lâche superstition de Jacques II, et de toutes les misérables intrigues qui agitèrent le règne de la reine Anne. De sorte que vous autres précepteurs du genre humain, si vous aspirez à la gloire, votre attente est


a Memnon, ou la sagesse humaine, 1750. Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXIII, p. 160.

b Horace, Art poétique, v. 343; voyez aussi t. XXI, p. 353 de notre édition.