<24>Vivez plus heureux à Lausanne, et rendez-vous digne que j'oublie tout à fait le passé.b

347. DE VOLTAIRE.a

Aux Délices, près de Genève, 29 févrierb 1759.

Il y a longtemps que je vous dis que vous êtes l'homme le plus extraordinaire qui ait jamais été. Avoir l'Europe sur les bras, et faire les vers que V. M. m'envoie, est assurément une chose unique. Moi, que j'en fasse après les vôtres! Vous vous moquez d'un pauvre vieillard. Il n'y a qu'un frère et qu'un héros capable d'un tel ouvrage; je ne suis ni l'un ni l'autre. Vous en savez trop pour ne pas savoir que tout sentiment est fade en comparaison de l'enthousiasme de la nature. La place où l'on est dans ce monde ajoute encore beaucoup au sublime, et quand le cœur s'exprime dans un homme de votre rang, il faut être fou pour oser parler après lui. N'insultez point, s'il vous plaît, à la misère de l'imagination paralytique d'un homme de soixante et cinq ans, environné des neiges des Alpes, et devenu plus froid qu'elles. Tout ce qu'il y aurait à faire pour l'édification du genre humain, ce serait de faire imprimer les tendres et sublimes vers qui seront à jamais le plus beau mausolée que vous puissiez élever à votre digne sœur; mais je me donnerai bien de garde d'en lâcher seulement une copie sans la permission expresse de V. M. Vos victoires, votre célérité à la façon de César, vos ressources de génie dans des temps de malheur, vous feront sans doute un nom


b Nous tirons de l'édition de Bâle les derniers mots de cette lettre, à partir de « et rendez-vous digne; » les éditeur de Kehl les avaient remplacés par un etc.

a Cette lettre est tirée du journal Der Freymüthige, 1803, p. 149 et 150.

b L'année 1759 n'était pas bissextile; on trouve pourtant dans la correspondance de Voltaire une autre lettre datée du 29 février 1769, et adressée à M. Bertrand. Mais la date de la réponse à notre no 347 (2 mars) soulève une nouvelle difficulté, car cette réponse ne peut pas avoir été faite ce jour-là, à supposer même que Voltaire eût expédié sa lettre le 28.