492. DE VOLTAIRE.
(Ferney) 16 août 1774.
Sire, j'ai enfin proposé au chancelier de France de faire pour votre officier ce qu'il pourrait; je lui ai mandé que V. M. daignait s'intéresser à ce jeune homme, qui mérite en effet votre protection par son extrême sagesse et par son application continuelle à tous les devoirs de son état, et surtout par la résolution inébranlable de vous servir toute sa vie.
Peut-être les formalités, qui semblent inventées pour retarder les affaires, pourront retenir Morival chez moi encore quelque temps; mais il se rendra à Wésel au moment que V. M. l'ordonnera.
Vraiment, Sire, je suis et j'ai toujours été de votre avis; vous me dites dans votre lettre du 30 juillet : « Représentez-vous l'ennemi prêt à pénétrer aux environs de Ferney; ne regarderiez-vous pas comme votre sauveur le brave qui défendrait vos possessions? »
J'ai dit en médiocres vers, dans la Tactique, ce que vous dites en très-bonne prose :
Eh quoi! vous vous plaignez qu'on cherche à vous défendre?
Seriez-vous bien content qu'un Goth vint mettre en cendre
Vos arbres, vos moissons, vos granges, vos châteaux?
Il vous faut de bons chiens pour garder vos troupeaux.
Il est, n'en doutez point, des guerres légitimes, etc.a
Vous voyez, Sire, que je pensais absolument comme certain héros du siècle. Madame Deshoulières a dit :
Faute de s'approcher et faute de s'entendre,
On est souvent brouillé pour rien.
D'ailleurs les pensées d'un pauvre philosophe enterré au pied des Alpes ne sont pas comme les pensées des maîtres de la terre. Ces philosophes, vrais ou prétendus, sont sans conséquence; mais vous autres héros et souverains, quand vous avez mis quelque grande idée dans votre cervelle, la destinée des hommes en dépend.
a Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIV, p. 274.