<293>par des fatigues, ne résistent pas aussi longtemps que ceux qui, par une vie réglée, ont été ménagés et conservés. C'est le moindre de mes embarras, car, dès que le mouvement de la machine s'arrête, il est égal d'avoir vécu six siècles ou six jours.a Il est plus important d'avoir bien vécu, et de n'avoir aucun reproche considérable à se faire.

Voilà ma confession; et je me flatte que le Patriarche de Ferney me donnera l'absolution in articulo mortis. Je lui souhaite longue vie, santé et prospérité, et, pour mon agrément, que sa veine demeure intarissable. Vale.

496. DE VOLTAIRE.

Ferney, 17 novembre 1774.

Sire, quelques petits avant-coureurs que la nature envoie quelquefois aux gens de quatre-vingt et un ans ne m'ont pas permis de vous remercier plus tôt d'une lettre charmante, remplie des plus jolis vers que vous ayez jamais faits; ni roi, ni homme ne vous ressemble; je ne suis pas assurément en état de vous rendre vers pour vers.

Muses, que je me sens confondre!
Vous daignez encor m'inspirer
L'esprit qu'il faut pour l'admirer,
Mais non celui de lui répondre.

Je puis du moins répondre à V. M. que mon cœur est pénétré des bontés que vous daignez témoigner pour ce pauvre Morival. Je voudrais qu'il pût, au milieu de nos neiges, lever le plan du pays que vous lui avez permis d'habiter; V. M. verrait combien


a Voyez ci-dessus, p. 289. Voltaire dit dans Micromégas : « Quand il faut rendre son corps aux éléments et ranimer la nature sous une autre forme, ce qui s'appelle mourir; quand ce moment de métamorphose est venu, avoir vécu une éternité ou avoir vécu un jour, c'est précisément la même chose. » Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXIII, p. 173.