<319>J'ai lu sa nouvelle tragédie, qui n'est point mauvaise du tout. Je hasarderais quelques petites remarques d'un ignorant; mais ne pouvant pas dire comme le Corrége : Son pittor anche io! je garde le silence, en vous priant de ne point oublier le Philosophe de Sans-Souci. Vale.
512. AU MÊME.
Potsdam, 2 mars 1775.a
Le baron de Pöllnitz n'est pas le seul octogénaire qui vive ici, et qui se porte bien : il y a le vieux Le Cointe,b dont peut-être vous vous ressouviendrez, qui a dix ans de plus que Pöllnitz; le bon mylord Marischal approche du même âge, et l'on trouve encore de la gaîté et du sel attique dans sa conversation. Vous avez plus de ce feu élémentaire ou céleste que tous ceux que je viens de nommer; c'est ce feu, cet esprit, que les Grecs appelaient anima, qui fait durer notre frêle machine.
Vos derniers ouvrages, dont je vous remercie encore, ne se ressentent point de la décrépitude; tant que votre esprit conservera cette force et cette gaîté, votre corps ne périclitera point.
Vous me parlez de Dialogues polonais qui me sont inconnus; tout ce qu'il y a d'injures dans ces Dialogues sera des Sarmates; le très-fin, des Velches qui les protégent. Je pense sur ces satires comme Épictète :a « Si l'on dit du mal de toi et qu'il soit véritable, corrige-toi; si ce sont des mensonges, ris-en. » J'ai appris, avec l'âge, à devenir bon cheval de poste; je fais ma station, et ne m'embarrasse pas des roquets qui aboient en chemin.
a Le 1er mars 1775. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 264.)
b Thomas Le Cointe, né à Dieppe en Normandie, en 1682, fut nommé pasteur de l'Église française de Potsdam en 1723, et y mourut le 7 décembre 1776, âgé de quatre-vingt-treize ans moins cinq jours.
a Le Manuel d'Épictète et les Commentaires de Simplicius, traduits en français par M. Dacier. A Paris, 1715, in-8, tome I, p. 316. Frédéric a un peu changé le passage.