522. A VOLTAIRE.
Potsdam, 12 juillet 1775.a
Vous croyez, mon cher patriarche, que j'ai toujours l'épée au vent? Cependant votre lettre m'a trouvé la plume à la main, occupé à corriger d'anciens mémoiresb que vous vous ressouviendrez peut-être d'avoir vus autrefois peu corrects et peu soignés. Je lèche mes petits; je tâche de les polir. Trente années de différence rendent plus difficile à se satisfaire; et quoique cet ouvrage soit destiné à demeurer enfoui pour toujours dans quelque archive poudreuse, je ne veux pourtant pas qu'il soit mal fait. En voilà assez pour mes occupations.
Quant à Morival d'Étallonde, je vois bien que vos bonnes intentions n'ont pas été suffisantes pour déraciner les préjugés du fanatisme des têtes de vos présidents à mortier. Il est plus difficile de faire entendre raison à un docteur en droit que de composer la Henriade. Si Morival ne veut pas faire amende honorable, le cierge au poing, il peut venir ici; je le placerai dans le génie, à votre recommandation. Il vaut mieux étudier Vauban et Coehorn que de s'avilir, surtout lorsqu'on est innocent. Il me semble que les progrès de la raison se font sentir plus rapidement en Allemagne qu'en France. La raison en est que beaucoup d'ecclésiastiques et d'évêques catholiques, en Allemagne, commencent à avoir honte de leurs superstitieux usages, au lieu qu'en France le clergé fait corps de l'État; et toute grande compagnie reste attachée aux anciens usages, quand même elle en connaît l'abus.
On n'a parlé ici que du sacre de Reims, des cérémonies bizarres qui s'y observent, et de la sainte ampoule, dont l'histoire est digne des Lapons. Un prince sage et éclairé pourrait abolir et la sainte ampoule, et le sacre même.
J'ai vu ici deux jeunes Français bien aimables; l'un est un M. de Laval-Montmorency, et l'autre un Clermont-Gallerande. Ce dernier surtout a de la vivacité d'esprit, à laquelle est jointe
a Le 14 juillet 1775. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 275.)
b L'Histoire de mon temps. Voyez t. XXII, p. 135, 142, 145, 146 et 147.