<35>Je me sers de toutes mes armes contre mes ennemis; je suis comme le porc-épic qui, se hérissant, se défend de toutes ses pointes. Je n'assure pas que les miennes soient bonnes; mais il faut faire usage de toutes ses facultés, telles qu'elles sont, et porter des coups à ses adversaires les mieux assenés que l'on peut.
Il semble qu'on ait oublié dans cette guerre-ci ce que c'est que les bons procédés et la bienséance. Les nations les plus policées font la guerre en bêtes féroces. J'ai honte de l'humanité; j'en rougis pour le siècle. Avouons la vérité; les arts et la philosophie ne se répandent que sur le petit nombre; la grosse masse, le peuple, et le vulgaire de la noblesse, reste ce que la nature l'a fait, c'est-à-dire, de méchants animaux.
Quelque réputation que vous ayez, mon cher Voltaire, ne pensez pas que les hussards autrichiens connaissent votre écriture. Je puis vous assurer qu'ils se connaissent mieux en eau-de-vie qu'en beaux vers et en célèbres auteurs.
Nous allons commencer dans peu une campagne qui sera pour le moins aussi rude que la précédente. Le prince Ferdinand épaule bien ma droite. Dieu sait quelle en sera l'issue. Mais de quoi je puis vous assurer positivement, c'est qu'on ne m'aura pas à bon marché, et que, si je succombe, il faudra que l'ennemi se fraye par un carnage affreux le chemin à ma destruction.
Adieu; je vous souhaite tout ce qui me manque.
NB. On dit qu'on a brûlé à Paris votre poëme de la Loi naturelle, la Philosophie du bon sens,a et l'Esprit, ouvrage d'Helvétius. Admirez comme l'amour-propre se flatte; je tire une espèce de gloire que la même époque de la guerre que la France me fait devienne celle qu'on fait à Paris au bon sens.
a Ouvrage publié par le marquis d'Argens en 1737. Voyez t. XII, p. 98, et t. XIX, p. 66 et 67.