<366>lesquels ils pénètrent, et ils apprécient le mérite de chaque province.

J'attends avec impatience les ouvrages que vous voulez bien m'envoyer. Vous savez le cas que je fais de tout ce qui part de votre plume; mais j'avoue en même temps mon extrême ignorance sur les mœurs des peuples du Mogol, du Japon et de la Chine; j'ai borné mon attention à l'Europe; cette connaissance est d'un usage journalier et nécessaire. Ce que je pourrais ramasser d'érudition sur le Mogol, l'Arabie, et le Japon, serait l'objet d'une vaine curiosité. Je ne connais de l'empereur de la Chine que les mauvais vers qu'on lui attribue; s'il n'a pas de meilleurs poëtes à Pékin, personne n'apprendra cette langue pour pouvoir lire de pareilles poésies; et tant que la fatalité ne fera pas naître le génie d'un Voltaire dans ce pays-là, je m'embarrasserai peu du reste. Vivez donc, mon cher marquis, mon cher intendant, pour soulager le pays de Gex, pour donner un exemple à votre patrie d'un gouvernement philosophique, et pour la satisfaction de tous ceux qui s'intéressent vivement comme moi à la conservation du Protée de Ferney. Vale.

538. DE VOLTAIRE.

Ferney, 17 janvier 1776.

Sire, il y avait autrefois, vers le cinquante-troisième degré de latitude, un bel aigle, dont le vol était admiré dans toutes les latitudes du monde. Un petit rat était sorti de sa souricière pour aller contempler l'aigle, et il fut épris d'une violente passion pour ce roi des oiseaux; le rat vieillit depuis dans sa retraite, et fut réduit à ronger des livres; encore les rongeait-il fort mal, parce qu'il n'avait plus de dents. L'aigle conserva toujours son beau bec, mais il eut mal à ses royales pattes.

Ce qu'on ne croira jamais, c'est que cet aigle, pendant sa maladie, s'amusait quelquefois à faire de fort jolis vers, qu'il