<386>ces épreuves servirent à votre gloire! comme, dans tous les temps, vous avez été par vous-même au-dessus du reste des hommes! Je n'ose lever les yeux vers vous du sein de ma décrépitude et du fond de ma misère. Je ne sais plus où j'irai mourir. M. le duc de Würtemberg régnant, oncle de la princesse que vous venez de marier si bien, me doit quelque argentb qui aurait servi à me procurer une sépulture honnête; il ne me paye point, ce qui m'embarrassera beaucoup quand je serai mort. Si j'osais, je vous demanderais votre protection auprès de lui; mais je n'ose pas; j'aimerais mieux avoir V. M. pour caution.

Sérieusement parlant, je ne sais pas où j'irai mourir. Je suis un petit Job ratatiné sur mon fumier de Suisse; et la différence de Job à moi, c'est que Job guérit, et finit par être heureux. Autant en arriva au bonhomme Tobie, égaré comme moi dans un canton suisse du pays des Mèdes; et le plaisant de l'affaire est qu'il est dit dans la sainte Écriture que ses petits-enfants l'enterrèrent avec allégresse;a apparemment qu'ils trouvèrent une bonne succession.

Pardonnez-moi, Sire, si, étant devenu presque aveugle comme Tobie, et misérable comme Job, je n'ai pas eu l'esprit assez libre pour oser vous écrire une lettre inutile.

Il est venu dans ma cabane un jeune baron ou comte saxon, qui s'appelle, je crois, Gersdorff. Il est très-aimable, plein d'esprit et de grâces, poli, circonspect. On dit que V. M. a pris la peine de l'élever elle-même pour s'amuser. Il y paraît; c'est Achille qui élève Phénix, au lieu qu'autrefois Phénix fut le précepteur d'Achille.

Je me mets aux pieds de V. M. De profundis.b


b Voltaire écrivait à madame Denis, le 9 septembre 1752 : « Je remets entre les mains de M. le duc de Würtemberg les fonds que j'avais fait venir à Berlin. » Il écrit à madame de Saint-Julien, le 5 décembre 1776 : « J'ai reçu une lettre de M. le duc de Würtemberg, qui me doit cent mille francs, et qui me mande qu'il ne peut me payer un sou qu'au commencement de l'année 1778. »

a Tobie, chap. XIV, v. 16.

b Voyez t. XIX, p. 363.