<392>Cependant soyez sûr que le plus grand crève-cœur que vous puissiez faire à vos ennemis, c'est de vivre en dépit d'eux. Je vous prie de leur bien donner ce chagrin-là, et d'être persuadé que personne ne s'intéresse plus à la conservation du vieux patriarche de Ferney que le solitaire de Sans-Souci. Vale.

554. AU MÊME.

Potsdam, 10 février 1777.

Il vaut mieux que vous ayez terminé vous-même votre affaire avec le duc de Würtemberg que s'il avait fallu recourir à mon assistance. Je jouis de peu de crédit à cette cour, et Son Altesse Sérénissime, surchargée de dettes, a une fluxion d'oreilles qui l'assourdit toutes les fois qu'elle entend le mot payez; et, prononcé par ma bouche, ce mot lui répugnerait encore plus que par celle d'un autre. Il était réservé à votre éloquence victorieuse d'amollir le cœur de bronze du-dit duc, et de le persuader à délier en votre faveur les cordons de sa bourse.a Je vous félicite d'avoir cet embarras de moins, et je me réjouirai si j'apprends que tous vos sujets de chagrin sont dissipés.

L'âge où vous êtes devrait rendre votre personne sacrée et inviolable. Je m'indigne, je me mets en colère contre les malheureux qui empoisonnent la fin de vos jours. Je me suis dit souvent : Comment se peut-il que ce Voltaire, qui fait l'honneur de la France et de son siècle, soit né dans une patrie assez ingrate pour souffrir qu'on le persécute? Quel découragement pour la race future! Où sera le Français qui voudra désormais vouer ses talents à la gloire d'une nation qui méconnaît les grands hommes qu'elle produit, et qui les punit au lieu de les récompenser?

Le mérite persécuté me touche, et je vole à son secours,


a Ce passage, depuis « Je jouis de peu de crédit, » est tiré des Œuvres posthumes, t. IX, p. 338.