556. DE VOLTAIRE.
(Ferney) avril 1777.
Qoui! c'est donc cet heureux vainqueur
Et de l'Autriche, et de la France;
C'est ce grave législateur
De qui la sublime éloquence
Parut égale à sa valeur;
C'est ce généreux défenseur
De la raison, qu'à toute outrance
La fanatique extravagance
Persécute avec tant d'ardeur;
C'est ce héros, mon protecteur,
Qui s'est fait, dit-on, l'imprimeur
Des idylles de Deshoulière!
Seigneur, je ne m'attendais guère
De voir César ou Cicéron
Sortir de sa brillante sphère
Pour devenir un Céladon.
Mais il faut que tous les goûts entrent dans votre âme universelle; elle sent mieux que personne qu'il y a dans les ouvrages de madame Deshoulières, quoique un peu faibles, des morceaux naturels et même philosophiques qui méritent d'être conservés; pour Chaulieu, il a fait quatre ou cinq pièces dignes de Frédéric le Grand.
Puisque vous protégez les philosophes après leur mort, V. M. les protégera aussi pendant leur vie; la rage des pédants fanatiques en robe longue vient de condamner au bannissement perpétuel un jeune homme nommé Delisle,a pour avoir fait un livre intitulé La Philosophie de la nature. C'est, dit-on, un savant plein d'imagination, beaucoup plus vertueux que hardi. M. d'Alembert est, je crois, instruit de son mérite et de son malheur.
Pour moi, si ces ennemis des sages me persécutent à quatre-vingt-trois ans, j'ai ma bière toute prête en Suisse, à une lieue de la France; j'ai quelque ressemblance avec Morival; je fus attaqué, il y a un mois, d'une espèce d'apoplexie dont les suites
a Delisle de Sales. Son ouvrage avait paru en 1769, en trois volumes.