568. DE VOLTAIRE.
Ferney, 6 janvier 1778.
Sire, grand homme, que vous m'instruisez, que vous me consolez, que vous me fortifiez dans toutes mes idées au bout de ma carrière! Votre Majesté, ou plutôt Votre Humanité,a a bien raison : le fatras métaphysique, théologique, fanatique, est sans doute ce que nous avons de plus méprisable; et cependant on écrira sur ces chimères absurdes tant qu'il y aura des universités, des esprits faux, et de l'argent a gagner.
Parmi les géomètres, il n'y a guère eu qu'Archimède et Newton qui aient acquis une véritable gloire, parce qu'ils ont inventé des choses très-difficiles, très-inconnues, et très-utiles; il n'y a point de gloire pour ceux qui ne savent que diviser a - b plus c par x moins z, et qui passent leur vie à écrire ce que les autres ont imaginé.
Pour l'histoire, ce n'est, après tout, qu'une gazette; la plus vraie est remplie de faussetés, et elle ne peut avoir de mérite que celui du style. Ce style est le fruit de la littérature; c'est donc à la littérature qu'il faut s'en tenir. C'est ainsi que pensa le grand Condé dans sa retraite de Chantilly; c'est ainsi que pense le grand Frédéric à Sans-Souci.
Quand j'ai proposé à V. M. le sieur Delisle pour arranger votre nouvelle bibliothèque, je ne savais pas que vous aviez déjà plusieurs gens de lettres occupés de ce service. Je le proposais comme un homme laborieux et exact, très-capable de faire des extraits et de tenir tout en ordre. J'avais éprouvé ses talents dans ce travail, et j'osais vous le présenter comme un subalterne qui aurait bien servi dans cette partie.
Je vous ai plus d'obligation que vous ne pensez; votre pupille vient enfin de se laisser un peu attendrir; il m'a payé vingt mille francs sur les quatre-vingt mille que je lui avais prêtés, et peut-être avant ma mort me payera-t-il le reste; c'est vous que j'en dois remercier.
a Voyez t. XXII, p. 7, 11, 17, 19, 25, 44, 58, 60, etc.; et, même volume, p. 172, lettre de Voltaire, du 16 novembre 1743.