332. DE VOLTAIRE.a
Colmar, 22 août 1754.
Sire, je prends encore la liberté de présenter à Votre Majesté un ouvrageb qui, si vous daigniez l'honorer d'un de vos regards, vous ferait voir que ma vie est consacrée au travail et à la vérité. Cette vie, toujours retirée et toujours occupée au milieu des maladies, et ma conduite jusqu'à ma mort, vous prouveront que mon caractère n'est pas indigne des bontés dont vous m'avez honoré pendant quinze années.
J'attends encore de la générosité de votre âme que vous ne voudrez pas remplir mes derniers jours d'amertume.
Je vous conjure de vous souvenir que j'avais perdu mes emplois pour avoir l'honneur d'être auprès de vous, et que je ne les regrette pas; que je vous ai donné mon temps et mes soins pendant trois ans; que je renonçai à tout pour vous, et que je n'ai jamais manqué à votre personne.
Ma nièce, qui n'a été malheureuse que par vous, et qui certainement ne mérite pas de l'être, qui console ma vieillesse, et qui veut bien prendre soin de ma malheureuse santé et des biens que j'ai auprès de Colmar, doit au moins être un objet de votre bonté et de votre justice.
Elle est encore malade de l'aventure affreuse qu'elle essuya en votre nom. Je me flatte toujours que vous daignerez réparer par quelques mots de bonté des choses qui sont si contraires à votre humanité et à votre gloire. Je vous en conjure par le véritable respect que j'ai pour vous, daignez vous rendre à votre caractère encore plus qu'à la prière d'un homme qui n'a jamais aimé en vous que vous-même, et qui n'est malheureux que parce qu'il vous a assez aimé pour vous sacrifier sa patrie. Je n'ai besoin de rien sur la terre que de votre bonté. Croyez que la postérité, dont vous ambitionnez et dont vous méritez tant les suf-
a Tirée des archives du Cabinet de Berlin.
b Probablement l'Orphelin de la Chine, tragédie qui n'était alors que manuscrite et en trois actes, et que Voltaire finit par donner en cinq actes.