<54>Voici donc comme je raisonne. Le bon roi Charles chassa les Anglais des Gaules à l'aide d'une pucelle; il est donc clair que, par les secours de la mienne, nous vaincrons les trois dames; car vous savez que, dans le paradis, les saints conservent toujours un peu de tendre pour les pucelles. J'ajoute à ceci que Mahomet avait son pigeon, Sertorius sa biche, votre enthousiaste des Cévennesb sa grosse Nicole, et je conclus que ma pucelle et mon inspiré me vaudront au moins tout autant.

Ne mettez point sur le compte de la guerre des malheurs et des calamités qui n'y ont aucun rapport.

L'abominable entreprise de Damiens,c le cruel assassinat intenté contre le roi de Portugal,c sont de ces attentats qui se commettent en paix comme en guerre; ce sont les suites de la fureur et de l'aveuglement d'un zèle absurde. L'homme restera, malgré les écoles de philosophie, la plus méchante bête de l'univers; la superstition, l'intérêt, la vengeance, la trahison, l'ingratitude, produiront jusqu'à la fin des siècles des scènes sanglantes et tragiques, parce que les passions, et très-rarement la raison, nous gouvernent. Il y aura toujours des guerres, des procès, des dévastations, des pestes, des tremblements de terre, des banqueroutes. C'est sur ces matières que roulent toutes les annales de l'univers.

Je crois, puisque cela est ainsi, qu'il faut que cela soit nécessaire. Maître Pangloss vous en dira la raison. Pour moi, qui n'ai pas l'honneur d'être docteur, je vous confesse mon ignorance. Il me paraît cependant que si un être bienfaisant avait fait l'univers, il nous aurait rendus plus heureux que nous ne le sommes. Il n'y a que l'égide de Zénon pour les calamités, et les couronnes du jardin d'Épicure pour la fortune.

Pressez votre laitage, faites cuver votre vin et faucher vos prés, sans vous inquiéter si l'année sera abondante ou stérile. Le gentilhomme du Bien-Aimé m'a promis, tout vieux lion qu'il est, de donner un coup de patte à l'infâme. J'attends son livre. Je


b Jean Cavalier, le principal chef des protestants des Cévennes. On appelait sa prophétesse la grande Marie. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XX, p. 398.

c Le 5 janvier 1707, et le 3 septembre 1738. Voyez t. IV, p. 116 et 204.